A quoi bon... Elle n'est plus là...^

A QUOI BON... ELLE N'EST PLUS LA...

1er novembre 2018. Halloween avait eu un goût amer pour lui cette année-là. Il n'avait pas eut le cœur à décorer  leur magnifique demeure pour l'occasion ni acheté de bonbons pour les nombreuses petites fripouilles venues tambouriner à sa porte. Il ne leur avait même pas ouvert le soir venu.  Il était resté cloîtré, durant des semaines, ne se levant pratiquement pas. Il préférait rester dans son empreinte au creux des draps de soie, enveloppé dans les effluves de parfum qu'elle y avait laissé. Mais ce jour-là,  le jour des morts comme disaient les croyants, une envie irrépressible d'aller la voir le poussa hors de ses pénates rassurantes.

Il passa par le jardin où il coupa quelques roses blanches, ses préférées, avant de rejoindre celle qui l'avait quitté un mois plus tôt, après une lutte acharnée contre la maladie.  Les allées du cimetière d'Austin grouillaient de gens, qui comme lui, venaient honorer leurs défunts. Il parcourut les quelques dizaines de mètres le séparant encore de cette pierre tombale qu'il avait choisit dans un style contemporain. Il y avait fait graver l'épitaphe :

" SI LA MORT T'A RAVIT A MOI, DANS MON COEUR A JAMAIS TU VIVRAS... "

Alors qu'il dépoussiérait le marbre glacé et changeait les fleurs dans le vase, le sourire sur la photo encadrée ornant la sépulture  accrocha son regard. Il s'en saisit la main tremblante, entrant dans une contemplation ému de ce visage dont les derniers souvenirs qu'il avait étaient empreints de douleur. Si elle lui manquait cruellement, au moins elle ne souffrait plus songea-t-il.  Alors que ses doigts glissaient doucement sur le verre, dessinant les traits délicats de sa bien aimée, sa vue se troubla et une larme glissa religieusement le long de sa joue tandis qu'il tombait à genoux, terrassé par le chagrin.

Une main ferme mais chaleureuse se posa soudain sur son épaule. Sans même se retourner, il su qui se tenait derrière lui.

- Cho...  parvint-il seulement à bredouiller  la voix sanglotante.
- Jane... lui répondit l'asiatique.

Il se leva sans lâcher le cadre qu'il tenait maintenant serrer contre son cœur. Il avait les yeux rouges et gonflés, le teint blafard et les joues creusées.

- Tu as l'air d'un fantôme mon frère... s'inquiéta Cho en découvrant l'état du mentaliste. Viens, je t'emmène manger quelque chose...
- Non... Je veux dire... C'est gentil, mais je n'ai pas faim... déclina Jane.
- Ce n'est pas négociable, rétorqua gentiment l'asiatique. Elle n'aurait pas aimé te voir comme ça tu sais.
- Elle me manque, si tu savais Cho..... avoua-t-il avant de s'effondrer dans les bras de son ami.  
- Je sais Jane... Je sais....  Elle nous manque à tous....  Viens...

Cho entraina Jane jusqu'à sa voiture, le bras autour de ses épaules pour l'aider à parcourir la distance entre la tombe de Teresa et le parking du cimetière.  Il l'aida ensuite à s'installer du côté passager avant  de prendre place derrière le volant. Il était vraiment inquiet pour lui et s'en voulait de ne pas avoir vu plus tôt à quel point il allait mal. Il faut dire que Jane répondait toujours au téléphone et était un remarquable comédien pour ce qui était de cacher sa souffrance. Mais le fait qu'il n'ait voulu voir personne depuis l'oraison funèbre aurait du lui mettre la puce à l'oreille. De temps à autre , il lui jetait un regard compatissant mais le trajet jusqu'au fast-food se fit dans un silence de mort.

- On est arrivés, déclara Cho en coupant le contact. Tu vas voir, ils font les meilleurs hamburger de la région.
- Si tu le dis...  répliqua Jane en essuyant son visage noyé par les larmes.

L'asiatique commanda deux menus burger XXL  avec frites et soda et apporta les plateaux à la table où il avait laissé Jane l'attendre.  A cette heure, la salle était presque vide.

- Je te remercie Cho, mais je n'ai vraiment pas faim.... déclara à nouveau le mentaliste.
- Manges, lui intima l'asiatique sur un ton sans appel.

Jane laissa s'échapper un soupir avant d'avaler une gorgée de soda puis ses doigts commencèrent à saisir quelques frites et à les porter à sa bouche. Depuis combien de temps n'avait-il pas prit un vrai repas ? Ces dernières semaines, il s'était contenté de biscuits secs et de thé à peine une fois par jour. Le frigo et les placards étaient vides et il n'avait pas eu le courage de sortir faire des courses. A vrai dire, il n'en voyait pas l'utilité puisqu'il n'avait plus d'appétit. Et son apparence squelettique était le cadet de ses soucis. Il se laissait mourir à petits feux.

- Tu va venir chez moi le temps de te refaire une santé, lui déclara soudain Cho avant de mordre dans son hamburger.
- J'imagine que ça n'est pas négociable... se contenta de répondre Jane.
- En effet, affirma l'asiatique.
- Pourquoi tu fais tout ça ? l'interrogea tristement le mentaliste.
- Tu préfèrerais peut-être que je te laisse te détruire ?
- Peut-être... Je veux dire... A quoi bon... Elle... Elle n'est plus là.... termina-il la voix tremblante et les yeux brillants de larmes.

Les deux hommes quittèrent les lieux sans ajouter un mot.

Pendant plusieurs semaines, Jane habita donc chez Cho et à mesure que les jours passaient, il semblait aller de mieux en mieux. Il mangeait correctement, ne passait plus ses journées au lit et il lui arrivait même de sourire. il reprit même du poids et ses joues n'étaient plus aussi creusées.

Mais les apparences étaient trompeuses... En réalité, il se noyait.... Un matin, il décida que le temps était venu... Il attendit patiemment que Cho parte travailler au FBI, puis rassembla toutes ses affaires et quitta l'appartement. Il marcha jusqu'au viaduc, regarda un moment le paysage, prit une profonde inspiration et enjamba la rambarde. Quelques secondes plus tard, il fermait les yeux pour ne plus jamais les rouvrir.

Lorsque Cho rentra chez lui ce soir -là, il trouva un mot sur la table du séjour :

" J'ai essayé... Mais a quoi bon... Elle n'est plus là... "

FIN