Le Mentalisme religieux des origines (Victor Mauroy, Paul Brunton)

LE MENTALISME RELIGIEUX DES ORIGINES


Un topic sur "le mentalisme métaphysique des origines" a déjà été ouvert ici :

https://the-mentalist.frenchboard.com/t1221-le-mentalisme-metaphysique-des-origines-et-contemporain

Or, comme nous allons le voir, le mentalisme religieux est différent du mentalisme métaphysique des origines. Ce topic complète l'histoire du mentalisme puisqu'il faut bien reconnaître qu'il n'y a pas grand chose sur le sujet sur internet...

Commençons donc par définir cette différence. Quelle est la différence entre le domaine métaphysique et le domaine religieux ?

Généralement, on définit un mot par son étymologie. La "méta-physique" signifie ce qui est "au-delà" de la physique. Au-delà ou après pour le grec "meta". Donc nous avons la nature, visible autour de nous, et "au-delà" ou "après", nous recherchons ce qui n'est pas visible, pas donné directement aux sens : ce sont les lois cachées de la nature (physis en grec), soit de la physique.

Ainsi, la métaphysique est la discipline qui s'interroge sur l'au-delà des choses observables. Elle recherche les causes (invisibles) dont nous percevons les effets. Les premiers philosophes grecs quand ils imaginaient que le monde était constitué d'atomes (au sens grec : de particules indivisibles "a-tomos"), ils faisaient de la métaphysique. Ils ne faisaient pas de la science car leurs hypothèses étaient invérifiables expérimentalement (et même si nous avons repris le même mot d'atomes, il signifie pour nous au contraire "particules divisibles"...). La métaphysique n'est pas seulement la recherche des explications causales des lois de la nature, c'est aussi le domaine d'une recherche de la sagesse. Les premiers philosophes grecs ne séparaient pas l'astrologie, la sagesse, les explications causales, ni d'ailleurs les penseurs des autres latitudes (les hindous, les chinois taoïstes, etc.).

On remarque aussi que la métaphysique recherche un discours rationnel. Pythagore, Platon, Aristote font reposer leur métaphysique sur les lois mathématiques et les observations astronomiques. Même Descartes aborde de façon très rationnelle la métaphysique.

Passons à la religion. Même s'il existe plusieurs étymologies, celle du latin "religare" (relier, réunir) nous fait tout de suite penser à une communauté, un rassemblement de gens qui partagent en commun une foi. Or, comme nous le savons, la foi ne cherche pas à être rationnelle - c'est déjà une première différence. La foi est souvent "aveugle" : elle ne cherche pas à tout expliquer (le mot n'est pas péjoratif). Pourquoi ? Parce qu'elle repose sur une révélation, une source de prophètes ou de mystiques et donc sur des livres sacrés. Ajoutons à cela, des cultes, des cérémonies et des traditions.

La métaphysique s'adresse donc à la raison, tandis que la religion s'adresse à la foi, voire à la mystique contemplative (nourrie le plus souvent par les textes sacrés). Ce sont donc 2 domaines distincts, différents, qui peuvent s'opposer ou se concilier. C'est-à-dire qu'on peut faire de la métaphysique et être athée (par exemple, certaines personnes croient en la vie après la mort mais ne croient pas pour autant en l'existence d'un Dieu personnel). Et vice-versa, on peut être religieux et ne pas faire de métaphysique (par exemple, croire en Dieu et en la résurrection future des corps de chair, sans se poser aucune question de ce qui se passe dans d'autres dimensions). Et au contraire, on peut aussi adhérer à une religion et se poser des questions métaphysiques.

À présent que la frontière est claire, nous allons pouvoir présenter un autre mentalisme qui appartient aux origines de l'histoire du mot.

LE MENTALISME RELIGIEUX

Plusieurs auteurs ont écrit sur ce mentalisme d'une façon religieuse. Ces auteurs étaient déjà épris de "spiritualisme" qui lui-même est assez religieux. Voici la thèse : toutes les religions du monde dériveraient d'une seule et même source qui est divine.

L'auteur Victor MAUROY fait justement partie de ceux-là. Qui était-il ? C'était un poète qui écrivait sous le pseudonyme de Robert DIANEL. Pourquoi nous intéresse-t-il ? Parce qu'en 1898, il a écrit 3 volumes (inscrits dans une trilogie) qui s'intitulent :

"LE PUR ESPRIT OU LE MENTALISME ABSOLU ET RELATIF"

Éditions : Bibliothèque Artistique et Littéraire, Société Anonyme La Plume, Paris.
Année : 1898

Cette oeuvre a une histoire... À l'origine de ce projet, il y a un testament ! Un avocat du Barreau de Paris, nommé Robert Weltraube (nom d'origine allemande), avait écrit sur ce sujet sans pouvoir le mener à terme. Il demandait donc que quelqu'un continue ce projet en respectant ses désirs : retracer toute l'histoire de la philosophie et de la religion pour aboutir au mentalisme, rien que ça !

"Nul, ici, ne sait mon vrai nom, ni ce que j'ai pu être, ni d'où je suis venu. J'ai dépassé soixante-dix ans. Il y a quelque quarante années, j'étais ce jeune avocat du Barreau de Paris dont certaines plaidoieries firent sensation. Je me nomme Robert Weltraube" (Vol I, p. 9).

Victor Mauroy explique ce contexte très particulier dans ce livre et a donc mené ce projet à exécution.

D'une certaine façon, Le pur esprit ou le mentalisme absolu et relatif est l'oeuvre de 2 auteurs : Robert Weltraube pour le projet initial et ses nombreuses notes (qui sont numérotées), et Victor Mauroy pour la rédaction, la mise en forme, l'aboutissement.

Le projet en lui-même n'avait rien de surprenant car le spiritualisme était très diffusé dans des journaux de spiritualité en des termes semblables, à savoir qu'il existait une source commune à toutes les religions. L'engouement populaire pour les tables tournantes, les "séances" de communication avec les défunts, tout cela contribuait à l'intérêt qu'on vouait à ces idées religieuses et philosophiques. Le spiritisme n'était pas encore né (car ce terme provient spécifiquement du médium Edgar Cayce qui voulait se distinguer de tout cela et il y est parvenu car le "spiritisme" a fini par supplanter "le spiritualisme").

Ainsi, cette oeuvre est-t-elle le résultat non du spiritisme (Victor Mauroy ne parle ni de tables tournantes, ni de défunts) mais du spiritualisme.

Que signifiait donc le mot "mentalisme" pour cet auteur et ceux du spiritualisme ? Il signifiait que le mental (c'est-à-dire "l'esprit pur") préexiste à tout ce qui est matériel. Mais non pas comme une thèse métaphysique (qui suppose une démonstration rationnelle) mais comme une foi religieuse (qui repose sur toute l'histoire des religions).

Alors, nous pourrions nous poser la question suivante : Pourquoi, de ce fait, Victor Mauroy a besoin de la philosophie ? Si sa thèse est religieuse, il n'en a pas besoin.

Certes. En principe, un récapitulatif des religions pour conduire au mentalisme, aurait pu suffire au projet. Mais ce XIX° siècle était très marqué par la philosophie de Hegel (et de quelques autres penseurs comme Schelling) que l'on classait dans la catégorie "idéalisme allemand" (non pas dans le sens d'un idéal à défendre, mais dans celui que les idées de l'esprit sont essentielles à la compréhension du monde).

Hegel est décédé en 1831. Il avait un impact considérable dans le domaine intellectuel car ce penseur "encyclopédique" était capable d'écrire sur tous les sujets... Et de plus, au lieu de s'opposer à ses prédécesseurs pour s'en démarquer (comme le font la plupart des philosophes), il les revendiquait tous comme faisant partie d'un processus historique de l'évolution des idées. Autrement dit, tous les penseurs faisaient partie d'une nécessité de l'esprit dans la marche du temps.

Cette façon globale et systématisante de Hegel a fasciné car il en faisait justement le coeur de sa philosophie... qui reposait sur la religion ! Alors que la plupart des philosophes opposaient les domaines, lui, les réconciliait.

Victor Mauroy a donc jugé "évident" d'utiliser la philosophie pour démontrer l'évolution religieuse qui aboutit au mentalisme. On ne peut comprendre ce projet qu'en prenant en compte le contexte historique.

Autrement dit, Victor Mauroy voulait être au mentalisme, ce que Hegel était à l'idéalisme : un système très vaste qui entend tout expliquer dans l'ordre naturel des choses, sans aucune séparation stricte.

En effet, chez Hegel la religion n'est pas séparée de la philosophie, chez Victor Mauroy, le mentalisme n'est pas séparé... de toutes les idées, les convictions de cette époque...

Avons-nous des preuves, des indices tangibles de cette influence de Hegel sur Victor Mauroy ?
Oui. Des preuves indubitables. Des preuves absolues... Car le choix de son titre "Le pur esprit ou le mentalisme absolu et relatif" est déjà une formulation hégélienne très caractéristique ! Et, par ailleurs, Victor Mauroy, cite souvent Hegel dans son oeuvre... jusqu'à imiter son style (des phrases très longues, très ponctuées).

Le plus flagrant se trouve dans cette phrase :

« Dieu est donc la suprême Unité (…) Il est voué à la conquête interminable du Mieux, du Bien absolu. C’est ce qu’a montré ma Doctrine. Celle-ci peut s’appeler également LE MENTALISME ou L’IDÉÉLISME ABSOLU » (Vol. III, pp. 138-139).

Hegel s'inscrit dans l'Idéalisme, Victor Mauroy revendique L'Idéélisme... Il était ainsi certain d'être compris par ses lecteurs : il était extrêmement clair que ce mentalisme était une pensée hégélienne modifiée...

Pourquoi Victor Mauroy a-t-il agi ainsi (sans faire preuve d'une grande originalité) ?

- Parce qu'il devait respecter la volonté du testament de Robert Weltraube
- Parce que l'idéalisme allemand était au coeur des discussions intellectuelles de l'époque
- Parce que le spiritualisme était en vogue et qu'il faisait souvent parler de lui (magazines, attrait pour le paranormal)
- Parce qu'il est plus facile de reprendre à son compte les idées de son temps
- Parce que d'autres auteurs agissaient ainsi

Comme on peut le voir, ce projet était surdéterminé et son caractère super ambitieux était lui-même l'aveu (à peine dissimulé) de vouloir copier le système intégral de la philosophie de Hegel.

Mais à toutes ces raisons, j'ajouterai une hypothèse personnelle (basée sur mes lectures des journaux de l'époque) : il semblerait que la plupart des gens ne comprenaient pas très bien les pensées de Hegel et de l'idéalisme allemand et qu'ils avaient tendance à les simplifier. Le mentalisme, serait cette simplification. Et on le voit particulièrement dans le projet de Victor Mauroy.

Que retenait-on surtout des pensées de Hegel ? Que l'Esprit dominait toute l'Histoire et donc toute chose.

Voici, à présent, quelques citations de Victor Mauroy et de son livre Le pur esprit ou le Mentalisme Absolu et Relatif :


« De l’infinité des conceptions, découle l’infinité des sensations. Cela résume et constitue le monde intelligible et le monde sensible, double idéalité que, dans son Unité supérieure, crée et confond l’Esprit pur, soit Dieu. Tel est donc, le dernier mot de la Philosophie, et c’est le Mentalisme Absolu » (Vol. III, p. 120).

S'il n'y avait pas le dernier mot, on jurerait que cette citation provient d'un des livres de Hegel...
On découvre ainsi le projet du mentalisme : être le dernier mot de la philosophie, c'est-à-dire être une vérité indépassable.

« Et je me borne à ajouter que la Religion ne doit plus être ni une fable, ni une légende, ni une mythologie. Il faut qu’elle soit la Science totale, il faut qu’elle soit la Vérité absolue. De ce jour là, l’union des âmes sera faite et la paix règnera parmi les hommes. Mais, ce qui paraîtra surtout difficile, je le pressens, ce sera d’adopter le Panthéisme idéaliste, dans toute la rigueur que lui donne le Mentalisme » (Vol.III, p. 648-649).


Passons outre le fait que l'auteur reprend presque au mot près des phrases de Hegel... pour comprendre quel est son projet : le mentalisme serait un "panthéisme idéaliste", c'est-à-dire l'essence même de toutes les religions, Dieu étant confondu avec l'Esprit qui est en toute chose.

"Alors, tout est en Dieu ? Oui. Tout est en Dieu, mais avec ce correctif stupéfiant, que l'Univers entier est purement métaphysique et idéal, une espèce de cinématographe divin et gigantesque. Toutes les idées sont dans l'Esprit. Dieu est l'Esprit pur, suprême, universel, éternel, créateur incessant. Ce qui est, n'est que le produit et l'effusion de cet Esprit ; la Nature n'est que l'écoulement et l'étagement des Idées que cet Esprit, éternellement actif, projette et fait vivre ; l'Univers, c'est l'évolution de la pensée créatrice, c'est le déroulement des volitions suprêmes. Les Idées ne sont point extérieur à l'Esprit. Ainsi, la matière se spiritualise ; le réel, ici se confond avec le vrai ; la chose ne fait qu'un avec l'Idée ; le concret est un morceau d'abstrait, le fini une nuance de l'infini. L'Absolu seul, est, et il est tout. Et dès lors, le Panthéisme est vrai, mais vu sous cet angle miraculeux" (Vol. III, p. 178).

L'allusion au cinématographe est intéressante (elle évoque certaines correspondances avec l'hindouisme et le bouddhisme), non pas comme un écran extérieur à l'esprit mais plutôt comme une hallucination de l'Esprit tel en rêve où tout est inclus en lui au rythme de ses pensées créatrices. Nous ne sommes pas très loin des thèses de l'univers holographique où la conscience ne peut plus être séparée de ce qu'elle observe en physique quantique et cosmologie contemporaine.

"Désormais, et par la doctrine du Mentalisme, le problème ontologique et cosmogonique est résolu. Tous les êtres, toutes les choses, sont des êtres et des choses métaphysiques, ultra-physiques. Nous sommes tous, êtres animés, êtres inanimés, humains, animaux, végétaux, minéraux, astres, planètes, soleils, étoiles, firmaments, etc., messies, prophètes, rois, peuples, villes, etc., sans exception, de purs concepts divins, de pures abstractions, de purs produits intellectuels et mentaux de Dieu. Le Réel, le seul réel, c'est l'Idéal. Dès lors, il n'y a plus de débat possible sur la distinction du Général et du Particulier, de l'Universel et de l'Individuel, du Sensible et de l'Intelligible. Tout est d'ordre spirituel et de raison. Tout est d'une même et commune nature. L'Esprit est l'Essence unique, d'où jaillissent les Idées. Les idées sont les choses, les individus et les mondes. Dieu, le Pur Esprit, Cause unique de tout, n'a produit et n'engendre que du Spirituel. La Matière est imaginée et imaginaire ; elle n'est point réelle au sens vulgaire. Dieu n'a fait qu'une oeuvre divine, c'est-à-dire intellectuelle" (Vol. III, p. 518).

Nous sommes donc bien dans un mentalisme religieux, même s'il chemine par la philosophie et par la pensée de Hegel en particulier. En effet, à la différence de la métaphysique pure (qui peut s'accorder avec l'athéisme), le mentalisme de Victor Mauroy n'y fait pas place :

"L'Avant-Propos et une grande partie du livre "Dieu" sont consacrés à la réfutation du Matérialisme et de l'Athéisme" (Vol. III, p. 125).

C'est un mentalisme religieux, sous-tendu par la métaphysique, et qui doit son inspiration à la philosophie de Hegel.

D'ailleurs, voici comment Victor Mauroy présente ses 3 volumes (je ne fais que recopier son sommaire) :

1ère Partie (Vol. I) : DIEU

I. Le Suprême Testament
II. Dieu
III. Les Universaux

2ème Partie (Vol. II)

IV. LE FILS DE DIEU

3ème Partie (Vol. III)

LE PUR ESPRIT ou LE MENTALISME

V. In extremis
VI. Un étrange Jour de l'An
VII. La fin du Monde Sensible


Ses trois volumes sont très épais (à la mesure du projet démesuré...)

VOL. I : 713 pages
VOL. II : 815 pages
VOL. III : 701 pages



Mon but n'est pas d'être exhaustif, je vais donc arrêter là...

Je pense qu'on aura assez d'éléments pour comprendre une des influences historiques qui a joué dans le caractère spirituel qui caractérise le "mentalisme" à ses débuts.


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Pour les curieux : Hegel a écrit sur "le magnétisme animal" (preuve de son intérêt pour les idées qui circulaient à son époque). On pourra trouver ces textes extraits de son Encyclopédie des sciences philosophiques publié en 1817 dans un petit fascicule :



Hegel, Le magnétisme animal aux éditions PUF, 2005 (intro. et trad. de François Roustang).

L'introduction d'une trentaine de page est accessible à tout lecteur.

L'autre branche du mentalisme religieux est représentée par Paul Brunton qui s'inspire lui, de l'hindouisme. Paul Brunton était journaliste britannique (sous son nom d'état civil : Raphaël Hurst).



Dans son livre Relativity, Philosophy and Mind : Notebooks (vol. 13) chez Larson Publications (1988), une partie entière (la troisième) est consacrée au mentalisme.

Si la pensée de Victor Mauroy était "religieuse", celle de Paul Brunton est plus poussée encore, comme en témoignent les titres des sections ou paragraphes (car c'est un carnet de notes à l'origine) :

- Le Monde comme [essence] mentale
- Le corps, le cerveau, la conscience
- L'Esprit, le Projecteur
- L'Esprit, le créateur d'images
- L'Esprit, le Connaisseur
- Le défi du Mentalisme
- Le Mentalisme et autres doctrines (4.202-272)
- Le Mentalisme comme doctrine éthique (4.10)
- Expérience mystique du Mentalisme (5.85 - 128)
- Pratique du Mentalisme (5.1 - 43)
- Introspection de l'Esprit (sur la méditaton et le mentalisme).

Elle est plus poussée en ce qu'elle est plus mystique (reprenant beaucoup aux conceptions hindoues et au yoga de l'esprit en particulier), c'est-à-dire orientée vers des techniques pratiques.