Les monstres n'existent pas^

Les montres n'existent pas

Depuis qu'elle était toute petite, Charlotte était effrayée, à l'heure d'aller se coucher. Comme la plupart des enfants de son âge, la peur des monstres la terrifiait. Elle croyait dur comme fer qu'une créature maléfique allait surgir de nulle part pour l'emmener, loin de ses parents. Ce sentiment d'insécurité se manifestait invariablement, dès que la porte de sa chambre se fermait. L'angoisse de la fillette augmentait à mesure que le flot de lumière se rétrécissait, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un mince fil et ne disparaisse totalement.

Charlotte se mettait à pleurer, jusqu'à ce que son père revienne. C'était une habitude pour Patrick, qui n'était jamais très loin pour intervenir. Il connaissait bien sa petite fille. Il vérifiait alors, minutieusement, l'armoire, chaque tiroir, ainsi que le dessous du lit. Il poussait ses investigations jusque dans les chaussons de Charlotte, déclenchant chez elle, un fou rire. C'était le remède imparable pour dissiper ses frayeurs. Ce rituel immuable, Patrick s'y prêtait avec joie.

Voir la quiétude reprendre sa place sur le visage de son petit ange, aux yeux pétillants, suffisait à son bonheur. Angela, elle, était comblée par ces moments de complicité, auquel elle assistait, avant de venir souhaiter bonne nuit à Charlotte. La jeune femme aimait leur laisser passer du temps, tous les deux, car ces instants de partage étaient de plus en plus rare. Son mari partait régulièrement en tournée, à travers le pays, alors elle et sa fille profitaient de chaque seconde, en sa présence.

Demain, il serait à nouveau, sur les routes et elles seraient à nouveau seules, à compter les jours qui les séparaient de son retour, à la maison. Mais, lorsque ce jour arrivait enfin, il n'était pas surprenant que Patrick ne fasse que passer en coup de vent, pour ne rentrer que très tard, lorsqu'elles dormaient. Malgré tout, dans ces cas-là, il se faisait un devoir d'aller embrasser sa fille, sur le front, avant de rejoindre son épouse.

Quelque fois, Charlotte ouvrait les yeux et lui posait la question "Papa, tu as chassé tous les monstres?". Il lui répondait: "Oui, ma chérie, tous jusqu'au dernier."
Elle serrait alors son ourson contre elle, en fermant les paupières, rassurée par la voix de son père qui veillait sur elle.

Quelques mois de plus dans leur vie et la fillette avait mûri. Elle était assez maligne pour faire la part des choses entre l'imaginaire et le réel.

Elle interrogea son père, le plus sérieusement du monde. Elle se tenait là, debout devant lui, assis dans le canapé du salon.

Charlotte: "Papa, il faut qu'on parle."
Jane reposa la revue qu'il tenait: "Ca a l'air sérieux."
Charlotte: "Je suis une grande maintenant. Est-ce que les montres existent pour de vrai?"
Jane sourit: "Non, ma puce. Les monstres n'existent pas."
Charlotte: "Je m'en doutais. Mais tu continueras quand même à me raconter des histoire pour m'endormir?"
Jane: "Les grandes filles ont besoin d'histoires pour s'endormir?"
Charlotte: "Papa!"
Jane: "Bien sûr, je te raconterais toujours des histoires. Marché conclu?"

Il lui tendit la main.

Charlotte la serra dans ses petits doigts: "Marché conclu." Elle ajouta: "Mais tu continueras à les chercher dans ta chambre, pour que maman n'ait pas peur?"
Jane: "C'est d'accord."

Ce fut le premier soir où la fillette ne sollicita pas l'aide de son père. Il était fier de constater que son bout de choux grandissait si vite. Toutefois, il n'assista à cette scène que ce soir-là. Dès le lendemain, Jane s'absenterait encore une fois, une fois de trop. Il n'aurait plus jamais l'occasion de border la chair de sa chair ou de la consoler, après un cauchemar, en la faisant rire. Elle ne rirait plus jamais. Lui, ne rirait plus jamais.

Jane s'était trompé car les monstres étaient bien réels. Le pire d'entre eux lui avait prouvé en emportant sa famille, dans un sourire ensanglanté.

FIN.

Juste sublime, ce texte est limpide et très fort émotionnellement.
En effet, les monstres existent, même s'ils ne ressemblent pas forcément aux aliens qui nous effrayaient étant enfant...
Un joli hommage au lien père/fille et vraiment un très bon moment de lecture. Biz et merci

Woow ! Un très beau texte qui nous fait passer des peurs enfantines de Charlotte à l'horreur que vit désormais Jane, dans une toute autre chasse au monstre. Bravo et merci !

C'est une très jolie OS, j'en avais les larmes aux yeux. De peu, j'en voudrais presque à Johnny d'avoir arraché sa famille à Jane...

Merci les filles, ça me fait toujours plaisir que mes OS aient du succès. Je ne m'y attend pas, en fait.
Je voulais écrire quelque chose de plus joyeux, mais je n'y arrive pas. D'ailleurs le prochain OS ne le sera pas plus que celui-ci.

Donc encore merci pour vos commentaires.

SUPERBE