[OS] Mémoires d'outre-tombe ^

Je suis morte. Ce n’est pas une question ou une hypothèse. Juste un fait. Je suis morte. Depuis 4 ans, 11 mois et 9 jours pour être précise. J’ai été assassinée par un tueur en série que mon mari avait provoqué à la télévision. Oui, je sais, c’est affreux. Mais le pire, c’est que mon petit bout de chou est morte elle aussi. Je me souviens encore de ce jour … J’avais supplié mon mari d’arrêter ses arnaques, parce que, oui, osons le mot, tous ses tours n’étaient que d’immenses supercheries ! Et croyez-moi, quand vous connaissez le truc, vous vous étonnez que des gens soient assez crédules pour gober des salades pareilles. Mais bon, il leur vendait de l’espoir. Et l’espoir, ça n’a pas de prix. Toujours est-il que je craignais qu’il ne se fasse traîner en justice par une de ses victimes qui aurait découvert le pot aux roses. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. En un sens, j’aurais préféré. Non, là, mon mari s’est « contenté » de provoquer un psychopathe à la télé. J’avais regardé l’émission. Comme d’habitude. Mais cette fois-ci, j’avais vraiment eu peur. Peur que mon mari ne se fasse tué par ce dingue. Jamais je n’aurais cru qu’il s’en prendrait à ma fille et à moi-même. Je savais que c’était folie que de collaborer avec la police, je savais que ça le mettait beaucoup trop en danger, mais il était orgueilleux. Fier de son don, de ses capacités. Peut-être trop fier justement. Mais il nous aimait. Plus que tout. Et c’était bien ça le problème. Parce que c’est pour ça que le tueur s’en est pris à nous. Je revois la scène comme si elle s’était déroulée hier. J’étais allée faire les courses et avant de les ranger, j’étais allée coucher ma fille pour qui le marchand de sable n’allait pas tarder à passer. J’avais tranquillement vaqué à mes occupations avant de monter vérifier que le sommeil de ma puce n’était pas troublé par quelques mauvais rêves. J’aimais tant la regarder dormir. Elle était si belle. Mais lorsque j’ai poussé la porte, je n’ai vu que son sang. Du sang partout. Horrifiée, je n’eu pas le temps de crier que déjà je sentais le métal froid d’un couteau glisser sur ma cou. Ensuite … et bien je ne saurais trop dire ce qui s’est passé. Je me suis réveillée dans cet endroit étrange, je ne savais pas où j’étais, mais j’entendais des chuchotements étouffés. J’ai vite compris que j’étais morte, mais il m’a fallu plus de temps pour comprendre que les voix que j’entendais parfois étaient celles des vivants qui nous manquaient.

Aujourd’hui j’entends encore ces voix de temps à autre. Celle de mon mari surtout. Si vous saviez à quel point il me manque … Je n’ai cessé de l’observer depuis que je suis ici. Je l’ai vu chuter au fond du gouffre après notre mort, je le suppliais de réagir, de se battre pour continuer à vivre. J’ignore s’il m’a entendu, je présume que non, mais il l’a fait. Mais à ma grande consternation, il ne se bat que pour retrouver notre assassin. Il est persuadé qu’il nous le doit. S’il savait comme il se trompe ! Jamais je ne lui aurais demandé de vendre son âme. Et pourtant il l’a fait. Je ne le reconnais plus. Il était tendre, attentionné, aimant. Il est devenu manipulateur, indécent, volontairement blessant, même avec les gens qui lui sont proches et qui tiennent à lui. Comme son équipe par exemple. A force de concentration, j’ai pu parvenir à entendre des bribes de leurs conversations. Je décroche lorsqu’ils parlent enquêtes. Les cadavres, très peu pour moi, j’ai déjà assez donné ! Mais je dois avouer que leurs petites blagues sont une bouffée d’air frais. C’est ce genre de petits moments qui me permettent d’apprendre à les connaître. Je ne sais que peu de choses pour eux, mais bizarrement j’ai l’impression de les connaître comme s’ils étaient mes amis. Assis, un livre à la main, il y a un asiatique au visage impassible. J’ai rencontré par hasard un homme qui était avec lui dans l’armée. Il m’a vanté son intégrité et sa loyauté. Et j’ai effectivement eu l’occasion de constater que c’était un homme bien. Mon mari lui fait confiance, je crois. En tout cas, plus qu’au grand brun qui se déboîte la mâchoire en voulant fourrer un beignet au chocolat dans sa bouche trop petite pour le recevoir. Toujours en train de manger, celui-là ! La nourriture doit lui aider à accepter sa rupture d’avec la jolie rousse. J’étais triste quand j’ai compris qu’ils s’étaient séparés. C’était un joli couple. Aussi gentil et généreux l’un que l’autre. Mais celle qui m’intéresse le plus, c’est celle qui sort de la cuisine en ce moment même, un café à la main, et mon mari sur les talons. J’ignore qui elle est, mais je sais que lorsque mon mari est près d’elle, il redevient l’homme que j’ai connu et aimé. J’aimerais tant qu’il renonce à sa vengeance pour elle, mais un coup d’œil à son annulaire gauche m’informe que ce n’est décidément pas au programme. Abruti. Tu lui plais, c’est évident, même moi je le vois (c’est dire !). Et tu te sens bien lorsque tu es près d’elle, je le sais, je le vois à ton visage, eh oui, je te connais ! … Oh elle rit. Surement une de tes blagues encore. Moi aussi c’était ton humour qui m’avait séduite … Allez, ne sois pas idiot, par pitié, renonce à ta vengeance. Ouvre ton cœur, elle n’attend que ça. N’aie pas peur de me trahir. Je t’ai aimé de tout mon être et de toute mon âme, et je sais que toi aussi, mais voilà, il vient un temps où il faut passer à autre chose. J’ai appris à mes dépens que la vie était bien trop courte pour ne pas être vécue à fond. Alors lance-toi. Et dis-toi qu’on se reverra ici si tu penses encore à moi. Mais pas tout de suite …