Hiatus ^

L'amnésie est dans certains cas psychologique. Elle représente la meilleure fuite qui soit. On fuit, en oubliant ce qui faisait mal.
Michelle Guérin

POV Jane : Bon alors, pas de panique, récapitulons. J’ai vu un asiatique baraqué, impassible, militaire probablement, ou plutôt ex-militaire reconverti dans la police ou le privé peut-être, ça expliquerait le costume bonne coupe, bien ajusté qu’il portait. Ensuite la femme, une si belle tornade brune. C’est sûr elle me connaît, mais d’où ? Elle avait l’air plus qu’inquiète, donc on est proches, pas assez cependant pour qu’elle me veille toute la nuit, donc quoi ? Une collègue ? Peut-être … Mais je fais quoi dans la vie ??

Fin POV

Laissant Jane à ses spéculations, Lisbon avait réuni ses agents pour leur expliquer la situation et essayer de s’organiser vis-à-vis de Jane. Grace ne cessait de répéter à quel point elle était triste pour lui, que ça devait être terrible de perdre tous ses souvenirs … Rigsby essayait de la consoler de son mieux et Cho harcelait les médecins pour savoir quelle était la meilleure méthode à utiliser pour que Jane retrouve la mémoire. Il ressortit de cet entretien qu’il valait mieux y aller doucement, lui présenter les personnes une à une en lui donnant le maximum de détails sur eux, sur la relation qu’il entretenait avec eux, comment ils s’étaient connus … Le médecin leur conseilla aussi de choisir une personne en particulier afin de veiller de lui, une personne qui le connaisse bien et qui serait donc à même de répondre à toutes les questions qu’il pouvait se poser. En entendant cette déclaration, les agents se tournèrent d’un même mouvement vers Lisbon, qui accepta bien volontiers. Elle, peut-être même plus que les autres, voulait retrouver le « vrai » Jane.

Elle se retrouva donc une fois de plus devant la porte de la chambre de Jane, la main sur la poignée, mais au moment d’ouvrir la porte, elle hésita, prise de l’espoir fou qu’il ait retrouvé la mémoire entre temps. Elle inspira à fond, comme pour se donner du courage, et soutenue silencieusement par ses collègues, elle poussa la porte.

Elle se figea à peine le seuil passé. Jane avait retiré son alliance et la faisait tourner entre ces doigts. Lorsqu’il la vit, il suspendit son geste, et, posant son alliance sur la table de chevet, il déclara simplement : « Je ne me souviens même pas de m’être marié. Et ma femme n’est pas venue me voir donc j’en déduis que soit elle est en déplacement et elle ne peut pas venir, soit je suis un récent divorcé inconsolable d’avoir perdu sa femme. »

Lisbon inspira à fond une nouvelle fois et s’approcha du lit. Elle prit une chaise et s’asseyant aux côtés de Jane, elle lui dit « Ce n’est pas aussi simple en fait ». Elle fit une pause et reprit :

- Je m’appelle Teresa Lisbon. C’est moi qui suis pour l’instant en charge de vous, je vais donc vous dire ce que je sais de votre vie pour que votre mémoire revienne. Si vous avez des questions ou si vous vous souvenez de quelque chose, n’hésitez pas à m’interrompre.

- Vous parlez comme une psy, fit remarquer Jane, un petit sourire au coin des lèvres.

Lisbon sourit elle aussi.

- Non je ne suis pas psy, je suis flic. Je travaille au CBI, le Bureau Californien d’Investigation. Je suis votre supérieur, vous êtes consultant. Vous avez un don d’observation exceptionnel et vous le mettez au service de la justice.

- D’accord, jusque là je vous suis, et les trois personnes qui nous espionnent derrière la fenêtre, ce sont mes collègues aussi ? Ils ont des têtes de flics.

- C’est flatteur Jane, merci, déclara ironiquement Lisbon avant d’être coupé par son consultant.

- Jane ? C’est mon nom ?

- Oui, vous vous appelez Patrick Jane, vous ne vous souvenez pas de ça non plus ?

- Ah vrai dire, je ne me souviens pas de grand-chose … Et donc, mes collègues ? reprit-il.

- Les médecins nous ont conseillé de ne pas débarquer tous ensemble dans votre chambre, donc ils viendront vous voir chacun leur tour. L’asiatique à gauche c’est l’agent Kimball Cho. Quand il était jeune, il a intégré un gang et il l’a quitté quand il est rentré dans les Forces Spéciales. Il a l’air froid comme ça mais c’est quelqu’un de confiance, droit, franc, honnête. Un homme bien. Il lit beaucoup. Vous lui avez offert un livre d’ailleurs pour Noël, L’Art de la Guerre, de Sun Tzu si je me souviens bien … La rousse au milieu c’est Grace Van Pelt. Elle est la dernière arrivée dans l’équipe. Elle est douce et un peu naïve mais elle a un cœur en or et vous en abusez parfois un peu. Elle est très douée en informatique, contrairement à vous qui êtes réfractaire à la technologie …

- Eh quoi ?? J’ai vu que j’avais un portable quand même, c’est largement suffisant !

- Et le costaud en costard c’est l’agent Wayne Rigsby. Il

- sort avec l’agent Van Pelt ? compléta Jane

- Pas loin ! Ils sont sortis ensemble pendant un moment, mais les relations entre collègues sont interdites au sein du CBI, et ils sont dus se séparer.

- Hum ! Dommage ! Il l’aime encore en tout cas …

- A quoi vous voyez ça ??

- C’est évident, vous avez vu la façon dont il la tient ? Ca crève les yeux qu’il veut la protéger !

- Ouais … lâcha une Lisbon sceptique, en tout cas, c’est un homme droit lui aussi. Il a un gros appétit et vous le taquinez souvent à ce sujet. Son père est un alcoolique repris de justice donc c’est pour ça qu’il est entré dans la police.

- Comme vous non ? … Vous avez eu ce … frémissement des paupières quand vous avez dit « alcoolique », ça exprime clairement la honte donc j’en déduis que votre père était alcoolique aussi non ?

- … Oui, grommela-t-elle de mauvaise grâce. Et donc, il est un peu crédule lui aussi et vous avez tendance à en profiter pour l’embarquer dans vos stupides plans.

- « Stupides plans » ? Rien que ça ? Vous m’en voulez vraisemblablement, qu’est-ce que j’ai fait de si grave ?

- Disons qu’à cause de vos … capacités … vous avez souvent tendance à remarquer des détails qui nous échappent lors des enquêtes et pour confirmer vos soupçons vous avez le chic pour échafauder des plans complètement farfelus dont nous ne sommes bien évidemment pas au courant, ou alors vous accusez les gens pour voir leurs réactions, mais la plupart n’apprécient pas et portent plainte contre le bureau !

- Mais je résouds des affaires non ? demanda Jane avec un sourire charmeur

- Ca y est, c’est reparti ! souffla Lisbon excédée. C’est votre sempiternelle ligne de défense, Jane, mais il existe d’autres méthodes pour arriver aux mêmes résultats ! D’autres méthodes qui n’impliquent pas forcément de la paperasse en plus à remplir !

De l’autre côté de la vitre, les trois agents les regardaient, le sourire aux lèvres. Ils n’entendaient pas ce qu’ils se disaient mais ils avaient vu le regard de Jane se poser successivement sur chacun d’entre eux ; ils en avaient donc déduit que Lisbon lui rappelait qui ils sont. Et ensuite ils avaient vus leur patronne devenir rouge de colère et faire de grands gestes, et Jane restait à l’observer, un air amusé clairement inscrit sur son visage. L’équipe n’avait pas tardé à comprendre qu’ils se disputaient. Encore. Et chacun d’eux, en son for intérieur, espérait que cela aiderait Jane à se souvenir …

Se souvenir ranime ; vouloir se souvenir détruit.
Claire France

Le meilleur ami, ou la meilleure amie, c'est l'amour sans souffrance, sans manque, c'est la complicité sexuelle sans la douloureuse fusion.
Jacques de Saint-Victor

Plusieurs jours passèrent comme ça, Lisbon venait le voir, lui racontait des anecdotes, dans l’espoir que cela éveille un souvenir dans sa tête. Mais rien. Elle lui racontait aussi ses journées de travail, et il continuait de lui donner des pistes pour démasquer l’assassin. Rien non plus ne lui revenait quand l’équipe venait le voir. Ni Cho, ni Rigsby, ni Van Pelt n’éveillèrent le moindre souvenir dans sa mémoire. Ce n’était pas faute d’essayer, pourtant.

Puis vint le jour où Jane fut autorisé à sortir de l’hôpital. Lisbon vint le chercher et déclara qu’elle l’emmenait chez elle, elle en était responsable donc elle le logerait chez elle aussi longtemps qu’il n’aurait pas retrouvé la mémoire, car, les médecins l’avaient redit, cet état était temporaire. Et puis, elle ne voulait pas qu’il se retrouve tout seul chez lui, avec cet affreux smiley, ou dans le grenier du CBI. Elle n’avait pas encore eu le courage de lui dire pour sa famille. Elle savait qu’elle aurait dû, que c’était peut-être ça, le déclic salvateur, mais elle s’y refusait pour l’instant. Jane était si joyeux, si détendu, tellement aux antipodes du Jane qu’elle avait l’habitude de côtoyer, qu’elle voulait juste en profiter au maximum avant de lui dire, avant qu’il ne remette son masque impassible. Elle savait qu’elle était égoïste mais c’était plus fort qu’elle.

Jane emménagea donc chez Lisbon. Il avait plaisanté à ce sujet, arguant que si elle s’engageait à le loger tant qu’il n’aurait pas retrouvé la mémoire, il pourrait bien feindre l’amnésie quelque temps de plus que nécessaire, tant sa compagnie était plaisante. Lisbon avait rougi et lui avait jeté un regard furieux : « Ne vous avisez même pas de ne serait-ce que penser faire ça ! ». Lisbon avait aussi vu avec Hightower, qui avait donné son feu vert pour que Jane reprenne le travail. Voir les bureaux du CBI, son canapé, tout ça pourrait lui être salutaire.

La première chose que vit Jane en entrant dans la maison de Lisbon, ce fut ces photos. Deux photos côte à côte, exposées dans l’entrée. La première représentait l’équipe, lui enlaçant la taille de Lisbon, Van Pelt dans les bras d’un Rigsby qui brandissait une part de pizza d’un air triomphant et Cho à côté de lui, Cho qui souriait ! La deuxième photo était un cliché pris sur le vif d’une de leurs disputes. On voyait Lisbon qui essayait d’attraper quelque chose que Jane lui refusait. La photo était un gros plan de leurs deux visages, et même un aveugle aurait pu voir la connexion qu’il y avait entre leurs deux regards. Jane resta un long moment figé devant ces photos, à tel point que Lisbon s’en sentit gênée. Elle se racla la gorge pour attirer son attention et en rougissant, elle balbutia :

- Je les ai gardées parce que j’aime ce qu’elles symbolisent. La complicité, l’esprit de famille …

Elle se tut en voyant que Jane avait toujours les yeux fixés sur ces photos. Rouge de gêne, Lisbon tourna les talons mais la voix de Jane la coupa dans son élan :

- Je peux vous poser une question ?

Lisbon se tourna vers lui et haussa les sourcils d’un air surpris :

- Depuis quand vous demandez la permission avant de le faire ?

Jane eu un petit sourire amusé et prit une grande inspiration.

- Est-ce qu’il s’est déjà passé quelque chose entre nous ? Sexuel j’entends.

Lisbon tomba des nues à l’entente de cette question.

- Quoi ?? Mais non voyons !! Vous … Mais comment ? Mais non enfin ! Je veux dire … Non !! protesta-t-elle avec force mouvements de dénégation.

- Pourquoi ? Parce que je suis marié ?

- Whoo mais d’où vous sortez une théorie aussi fumeuse que celle-là ?? Nous deux, coucher ensemble, je veux dire whoo mais vous délirez là, c’est le coup à la tête, c’est encore plus mauvais que ce qu’on a cru !

- Lisbon, calmez-vous s’il vous plaît. J’ai compris : nous ne sommes que deux collègues de travail essayant de freiner au mieux la tension sexuelle entre nous.

- Quoi ?? Mais quelle tension ??

- Ben celle-ci, répondit Jane en désignant la photo, leur photo. Ne me faites pas croire que vous ne voyez rien, c’est évident. Vous êtes une très belle femme, très attirante et célibataire donc s’il ne s’est rien passé entre nous, c’est bien à cause de ma femme ? Même si elle n’a pas l’air de faire grand cas de moi ... ajouta-t-il ironiquement.

Il laissa sa phrase en suspens, comme pour guetter une affirmation de la part de Lisbon, qui soupira en détournant le regard.

- Jane … Il faut que vous sachiez un truc à propos de votre femme.

Le souvenir du bonheur n'est plus du bonheur ; le souvenir de la douleur est de la douleur encore.
George Gordon, Lord Byron

Ce qui t'a été donné te sera repris : ta vie entière sera rythmée par le deuil.
Amélie Nothomb

Il se redressa un peu et fronça les sourcils en décodant son langage corporel : tristesse, compassion.

- Oui ? lui dit-il pour l’encourager à continuer.

- Elle est morte. Et votre fille aussi.

Jane accusa le coup. Blême, il demanda néanmoins :

- Ma fille ? J’ai une fille ? Elle est morte ? Mais comment ?

Lisbon se mordit les lèvres.

- Vous avez déjà remarqué que vous observez bien plus de choses que la plupart des gens, n’est-ce pas ? (Elle attendit son assentiment avant de continuer) Et bien, ce don, cette faculté, vous vous en êtes servi pendant des années pour duper les gens, vous vous faisiez passer pour un médium et vous lisiez leurs attitudes corporelles pour leur dire ce qu’ils voulaient entendre, tout en prétendant parler avec leurs proches décédés. Vous aviez énormément de succès, à tel point que la police vous a demandé de l’aide pour coincer un tueur en série qui égorgeait des femmes. Et lors d’une émission de télé, vous l’avez provoqué en direct, et … euh …

Jane avait blêmi à chaque phrase prononcée par Lisbon, et lorsqu’elle s’arrêta, hésitante, il comprit ce qu’elle sous-entendait :

- Il s’en est pris à elles c’est ça ? Il a tué ma famille en représailles ? demanda-t-il d’une voix rauque.

Lisbon acquiesça en détournant le regard.

- Oui, il les a tuées, et vous avez découvert les corps en rentrant chez vous ce soir-là.

Jane était plus pâle qu’un mort, il se laissa tomber sur le canapé du salon et balbutia :

- J’ai fait tué ma famille, elles sont mortes à cause de moi, je les ai tuées.

Lisbon ferma les yeux en se maudissant intérieurement d’avoir abordé le sujet. C’était beaucoup trop tôt, il est encore beaucoup trop fragile.

- Je ne m’en souviens même pas, j’ai fait tué ma famille et je ne m’en souviens pas, désespéra Jane en levant les yeux sur Lisbon. Je ne me souviens même pas à quoi elles ressemblaient.

- Je crois que vous avez une boîte de souvenirs au CBI avec une photo, vous pourrez la regarder à loisirs.

- On peut aller la chercher maintenant ?

- Maintenant ? Mais Jane …

Elle croisa son regard suppliant et ne put résister.

- Ok, en route.

Alors qu’ils partaient au CBI, la voix de Jane interrompit les flagellations intérieures de Lisbon.

- Comment elles s’appelaient ?

- Votre femme s’appelait Angela et votre fille c’était Charlotte … Elle avait 6 ans …

- Qu’est-ce que vous savez d’autre sur elles ?

Lisbon soupira.

- Pas grand-chose à vrai dire, vous n’aimiez pas en parler, ce qui est compréhensible, et aucun de nous n’a jamais vraiment oser vous questionner, on ne voulait pas rouvrir la plaie …

Et elle partagea avec lui ce qu’elle savait de son ancienne vie, les anecdotes qu’il lui avait confié parfois, mais c’était très court, et bientôt, ils arrivèrent en vue du CBI. Dans l’ascenseur, elle lui proposa de le laisser explorer seul le grenier, son repaire, mais il déclina cette offre, arguant qu’il préférait l’avoir à ses côtés. Et dans l’escalier, il lui prit la main, comme pour se donner du courage, le courage d’entrer chercher des réponses à ses questions. Il poussa la porte, qui s’ouvrit en grinçant. Apparut devant ses yeux une pièce qui lui sembla familière, très simplement meublée, un lit de fortune d’un côté, une table basse devant et partout des cartons. Une vieille armoire dont la porte ne fermait plus, était entreposée près de la fenêtre. Instinctivement, Jane se dirigea vers elle, et entrebâillant la porte, il prit délicatement un petit coffret qui était posé sur une des étagères. Retenant son souffle, il l’ouvrit et la première chose qu’il vit fut ses deux anges lui souriant, sa femme tenant sa fille dans ses bras, image d’un bonheur à jamais perdu. Expirant lentement, il contempla la photo, essayant de se souvenir d’un fragment de son passé. Mais rien. Alors il essaya de graver leurs visages dans sa mémoire puis il reposa la photo dans le coffret qui contenait également un petit carnet à la couverture bordeaux qu’il ne prit même pas la peine d’ouvrir, et refermant le coffret, il le replaça délicatement sur l’étagère, avant de se tourner vers Lisbon, qui avait patiemment attendu au milieu de la pièce.

- Vous savez où elles sont enterrées ?

Lisbon acquiesça.

- Vous pouvez m’y emmener ?

-Vous voulez y aller ?!?

Son expression refléta la surprise de son ton. Jane fronça les sourcils.

- Heu oui j’aimerais bien … Pourquoi ? Il y a un problème ?

Lisbon se tortilla, embarrassée.

- Ben c’est juste que depuis leur mort, vous vous sentiez tellement coupable que vous n’êtes allé vous recueillir sur leurs tombes qu’une seule fois. En 8 ans …

La honte qu’elle lut sur le visage de son collègue la fit se reprendre.

- Mais heu, si vous voulez y aller, on peut, il n’y a absolument aucun problème !

Elle se détourna pour sortir du grenier quand elle vit que Jane n’avait pas bougé.

- Quelque chose ne va pas ?

Jane se racla la gorge, et demanda d’une petite voix :

- Est-ce qu’on pourrait aussi s’arrêter chez un fleuriste ?

Il lut dans les yeux de Lisbon à quel point elle était choquée par sa demande, et la honte le submergea à nouveau. Il n’avait même pas eu la décence d’aller se recueillir sur leurs tombes, alors que c’était sa faute à lui, et uniquement la sienne, si elles étaient mortes. Il se détesta pour tout ça. La voix de Lisbon le sortit de ses sombres pensées.

- Bien sûr, il y a en a un pas loin.

Ton neutre. Un peu trop neutre.

Alors qu’ils faisaient route vers le cimetière, Lisbon demanda à son passager :

- Au fait, comment avez-vous su où chercher dans le grenier ? Même moi, j’ignorais où était ce coffret.

Jane haussa les épaules.

- Je ne sais pas trop, la pièce m’a parue familière et j’ai juste laissé mes pas me guider. Pourquoi croyez-vous que j’ai choisi ces fleurs-là tout à l’heure ? demanda-t-il en désignant les lys et les orchidées qui reposaient à l’arrière du véhicule. Parce que là aussi, j’ai laissé parler mon instinct, ce sont les premiers noms de fleurs qui me sont venus à l’esprit quand j’ai repensé aux visages de ma femme et ma fille.

- C’est bien, ça prouve que vos souvenirs sont là, quelque part, enfouis, mais bien présents. Ce n’est qu’une question de temps avant que vous retrouviez la mémoire !

Le sourire radieux qu’elle lui adressa fit naître une drôle de sensation dans son cœur. Déglutissant péniblement, il détourna le regard et fixa la route qui défilait.

La honte n'a pas pour fondement une faute que nous aurions commise, mais la sensation insupportable que cette humiliation est visible par tous.
Milan Kundera


TBC ??

Parfois le châtiment entraîne la culpabilité.
Stanislaw Jerzy Lec

Ils restèrent un long moment au cimetière. Lisbon lui avait montré les tombes et s’était reculé, le laissant faire ses adieux aux deux femmes de sa vie dont il ne se souvenait pas. Il lui avait semblé entendre un « pardon » chuchoté avec émotion, mais elle n’en était pas sûre. Puis, il s’était relevé, et s’était tourné vers Lisbon, avec un sourire de remerciement au coin des lèvres. Et lentement, ils étaient retournés à la voiture, sans un mot, et étaient rentrés à la maison, dans un parfait silence, chacun plongé dans des pensées qui leur appartenaient.

Alors qu’ils préparaient le dîner, Jane osa poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu’il avait appris que sa famille avait été tuée :

- Est-ce qu’on a retrouvé celui qui a fait ça ?

Il n’avait pas besoin de préciser le « ça », elle savait aussi bien que lui ce qu’il entendait par là.

Elle se figea à l’entente de sa question et hésitante, se tourna vers lui :

- Non, on ne l’a pas encore retrouvé.

- C’est pour ça que je collabore encore avec la police ? Pour vous aider à le retrouver ?

Elle eut un sourire amer.

- Non, c’est plutôt pour vous aider à le retrouver.

Il fronça les sourcils, perdu.

- Je ne comprends pas.

- Vous voulez le tuer, lui dit-elle sèchement, en le regardant droit dans les yeux avec une expression qui montrait mieux que ses paroles tout le dégoût, le mépris et l’horreur que lui inspirait ce projet.

Il prit le temps de digérer cette information.

- Et vous désapprouvez parce que vous êtes flic ou parce que vous ne voulez pas que j’aille en taule pour avoir fait ça, pour m’être vengé ?

Elle prit une profonde inspiration dans l’espoir de calmer le maelström d’émotions qui s’agitait en elle.

- Même si vous vous détestez pour ce que vous avez fait subir à votre famille, vous êtes un homme bien, et le tuer serait sa plus grande victoire parce qu’il vous aurait perverti à son niveau, il aurait fait de vous la même chose que lui, un tueur, et vous ne vaudriez pas mieux que lui à cet instant. Donc oui, je désapprouve ce projet parce que je suis flic et que c’est mon devoir d’empêcher les gens de commettre un crime, mais surtout parce que vous êtes mon ami et que je ne veux pas vous voir perdre votre humanité pour lui, il n’en vaut pas la peine.

Jane la fixa, sans un mot. Elle se tourna, gênée de s’être ainsi dévoilée. Puis elle entendit un « merci » presque inaudible, avant que Jane revienne l’aider à préparer le repas.

- Et sinon, je n’ai que des costumes trois-pièces ? Parce que je n’ai pas vu grand-chose d’autre dans les affaires que vous m’avez fourni …

Lisbon eut un sourire amusé, le sourire que Jane avait voulu provoquer.

- Oui, vous ne vous habillez qu’avec ça, on ne vous a jamais vu en jean ou tee-shirt, c’est toujours un trois-pièces.

- C’est vrai que c’est confortable, mais il faudra peut-être que je diversifie …

Lisbon le regarda comme s’il était brusquement devenu fou. Jane éclata de rire.

- Je plaisante, Lisbon ! Jamais je ne ferai d’infidélité à mes costumes !

Et le repas se déroula dans une ambiance bonne enfant. Jane faisait rire Lisbon et se gorgeait de ses rires, son merveilleux s’il en est. Ils se séparèrent peu après pour aller dormir, Jane ayant investi la chambre d’ami de Lisbon. Mais l’un comme l’autre ne ferma guère les yeux, trop absorbé par ses pensées.

Le lendemain matin, Jane était debout aux aurores et avait préparé le petit-déjeuner de Lisbon, qui ouvrit de grands yeux devant tant d’attentions. Alors qu’elle attrapait une tartine, Jane vint s’asseoir devant elle et joignit ses mains. Lisbon fronça les sourcils, devinant qu’une discussion sérieuse se profilait à l’horizon. Et effectivement …

- J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit hier soir. Et je crois que vous avez raison, avoua-t-il en relevant son regard pour le plonger dans celui de Lisbon. Si je le tuais, je trahirais une nouvelle fois des personnes qui me sont chères, et ça je ne le veux pas.

Son regard laissait clairement transparaître à qui il pensait lorsqu’il disait « des personnes qui me sont chères » et Lisbon se sentit rougir. Elle détourna le regard.

- Jane, vous dites ça maintenant parce que vous avez perdu la mémoire mais quand vous l’aurez retrouvé, vous replongerez dans cette folie qui vous est propre quand on parle de Red John. Il n’y a qu’à voir les dossiers que vous avez dans le grenier ou votre carnet de notes pour comprendre que rien ne vous fera renoncer à cette vengeance, alors par pitié, épargnez-moi votre grand et beau discours, vous êtes incapable de vous y tenir, et je ne veux pas être déçue encore une fois parce que vous avez à nouveau fait une promesse que vous êtes incapable de tenir.

Elle se leva brusquement et alla jeter son café dans l’évier, tout appétit ayant disparu dès qu’il eût abordé ce sujet. Elle remonta dans sa chambre pour prendre son arme et son plaque et redescendit dans la cuisine, où Jane était encore à la place où elle l’avait laissé. Son visage fermé et son regard dur indiquait clairement qu’il s’en voulait, mais elle lui en voulait trop elle aussi pour s’en préoccuper.

- Si vous êtes prêt, on va pouvoir y aller.

Jane acquiesça, le regard toujours perdu dans le vide. Il se leva et prit sa veste avant de rejoindre la voiture de Lisbon, tandis qu’elle fermait la maison à clef. Le trajet jusqu’au CBI se fit encore une fois en silence, chacun muré dans ses pensées, incapables de trouver la force nécessaire pour tendre la main à l’autre, pour lui laisser une chance.

Les douleurs légères s'expriment ; les grandes douleurs sont muettes.
Sénèque


TBC ...

La culpabilité est un sentiment irrationnel, le sentiment d'être responsable de tout le mal du monde. Le remords, lui exprime une nostalgie, le regret de ce qui aurait pu être et n'a pas été.
Antonio Tabucchi

Arrivés au CBI, ils se rendirent à l’open-space où Cho, Rigsby et Van Pelt étaient déjà à pied d’œuvre. Ils firent un accueil triomphal à Jane qui se força à paraître heureux et détendu, mais Lisbon vit que le cœur n’y était pas, et une pointe de remords l’assaillit alors qu’elle repensait à la dureté de ses paroles, un peu plus tôt. Elle laissa ses collègues et se rendit dans son bureau où une tonne (au moins !) de paperasse l’attendait. Elle soupira mais se mit néanmoins au travail. Quelque temps après, elle n’aurait su dire exactement combien, elle entendit toquer timidement et releva la tête à temps pour voir Jane entrer dans son bureau, une tasse de café à la main. Il oscilla un peu sur ses talons alors qu’elle le fixait, stupéfaite – il avait frappé !

- Il paraît que quand je veux me faire pardonner, je vous apporte une tasse de café, et vu que vous êtes fâchée contre moi, je me suis dit que c’était peut-être une bonne idée … Donc … finit-il en lui tendant la tasse qu’elle prit volontiers.

- Merci Jane. Autre chose ? ajouta-t-elle alors qu’il se balançait toujours devant elle.

- Non, non, je vais vous laisser travailler …

Il tourna les talons à regret, et sortit du bureau sous le regard honteux de Lisbon qui se sentait quelque peu coupable de l’avoir chassé de cette façon.

Jane partit se faire un thé dans la cuisine et se re-familiarisa avec cet endroit. Puis il décida de monter au grenier, pour voir s’il pouvait trouver des traces de son ancienne vie. Il entra dans cette pièce qui n’avait pas changé depuis la veille ; la table était toujours couverte de dossiers, le lit portait encore la trace d’un corps étendu et l’armoire était toujours entrebâillée. C’est là qu’il se dirigea en premier lieu, ressortant le coffret de sa cachette, et regardant à nouveau la photo de sa famille. Il avisa un petit carnet à couverture bordeaux dans le coffret, il n’y avait pas fait attention la dernière fois, mais cette fois, il le prit en main et l’ouvrit. Il fronça les sourcils devant l’absence de cohérence des notes. Il savait que c’était son carnet, ses notes, il reconnaissait son écriture, mais il ne comprenait pas de quoi il s’agissait. Ici un poème, là une liste de suspects, quelques pages plus loin des points d’interrogations de différentes tailles, le mot « POURQUOI ? » souligné plusieurs fois … Il se douta que ce carnet avait à voir avec l’assassin de sa famille, Lisbon lui avait dit qu’il était obnubilé par sa quête de vengeance. Il retourna s’asseoir sur le lit et fixa les dossiers éparpillés sur la table. Il sentait que la réponse à ses questions était là, quelque part, dissimulée au milieu de tant d’autres.

Prenant son courage à deux mains, il commença à trier ses dossiers puis entreprit de les consulter, un par un. Et instinctivement, il fit ce qu’il avait fait tant de fois auparavant, il analysa encore et encore les scènes de crimes dans l’espoir de trouver un indice susceptible de les mener au tueur. Puis il prit un dossier étiqueté « Angela et Charlotte JANE » et son souffle se bloqua. Les mains tremblantes, il l’ouvrit et son regard tomba sur les photos des deux corps. Il ferma les yeux pour essayer de retenir les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues, alors que des flashs de cette nuit là lui revenaient en rafales, sans qu’il puisse les arrêter. Il revit son show télévisé, il réentendit les paroles qu’il avait prononcées à l’égard de Red John, il ressentit encore une fois la terrible peur qui lui avait noué les entrailles lorsqu’il avait vu le mot sur sa porte et lorsqu’il avait lu son contenu. Il revit sa vie d’après, brouillée par les cachets qu’on lui faisait avaler pour essayer de tirer son esprit de cette léthargie dans lequel il était bloqué. Il revit sa vie au CBI, les bons moments traversés comme les mauvais, les meurtres sanglants et les pizzas de fin d’enquête. Il ouvrit les yeux alors qu’un lent sourire se dessinait sur son visage : il se souvenait. De tout.

On peut détruire le souvenir avec des mots, mais non la beauté de ce souvenir.
Dominique Blondeau

L'amour supporte mieux l'absence ou la mort que le doute ou la trahison.
André Maurois

Il fut interrompu dans ses souvenirs par la voix de Lisbon qui l’appelait. Elle apparut peu après, un air inquiet sur le visage. Mais elle se ferma lorsqu’elle avisa les dossiers qu’il lisait. Il la blessait, il le voyait bien. Il tenta un faible « Lisbon … » pour essayer de se disculper ; ce n’était pas ce qu’elle croyait. Mais elle le coupa avant qu’il ait eu le temps d’ajouter quoi que ce soit.

- On a une enquête, un homme retrouvé mort dans la marina, vous venez ? demanda-t-elle d’une voix froide.

Son visage exprimait clairement sa certitude concernant la réponse de son consultant. Non, il ne viendrait pas, il préférait rester là à éplucher les dossiers Red John.

- Bien sûr que je viens ! L’air marin me fera le plus grand bien !

Lisbon essaya de dissimuler sa surprise mais peine perdue, elle n’échappa pas à Jane, qui se sentit coupable, sans savoir exactement de quoi.

Le trajet se fit une fois encore en silence. Jane essaya à plusieurs reprises d’engager la conversation mais à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, les mains de Lisbon se crispaient sur son volant et ses lèvres se pinçaient en une ligne serrée. Ok. Je me tais. Message reçu 5/5.

Ils arrivèrent rapidement sur la scène de crime. Le légiste avait déjà fait évacué le corps mais les curieux étaient encore amassés sur la jetée. Pendant que Lisbon faisait le point avec son équipe, Jane s’approchait d’un transat couvert de sang et commençait à analyser ce qu’il voyait. Mais une partie de son cerveau divaguait. Vers Red John. Et avec un pincement au cœur, il réalisa que Lisbon avait raison, il voulait sa vengeance, il voulait mettre Red John hors d’état de nuire, et il réalisa aussi que cette histoire d’amnésie était une aubaine, il pouvait enfin tendre un piège à Red John. En effet, il était persuadé que le meurtrier de sa famille n’hésiterait pas à venir constater de visu si son « jouet » était abîmé. Il pouvait le coincer. Enfin. Mais cela impliquait de mentir à l’équipe, de mentir à Lisbon, en leur faisant croire à tous qu’il était encore amnésique. Il ressentit une pointe de honte et de culpabilité à l’idée de leur mentir une fois de plus.

Il fut dérangé dans ses pensées par une Lisbon toujours aussi froide qui venait s’enquérir de l’avancement de ses observations.

- On sait comment il a été tué ? demanda-t-il.

- D’un coup de couteau en plein cœur.

- Ouch ! Sordide ! Crime passionnel peut-être ? C’est ce couteau là ? ajouta-t-il en désignant l’objet enveloppé dans un sac plastique que tenait Lisbon à la main.

Elle hocha la tête. Il prit le sachet des mains et examina le couteau, tâché de sang séché jusqu’à la garde.

- J’ai besoin d’un peu plus de temps pour arriver à trouver le tueur mais je peux déjà vous dire que c’était un homme.

- Parce que seul un homme aurait eu la force d’enfoncer aussi profondément un couteau dans la poitrine d’un homme en parfaite santé ?

Jane releva les yeux vers Lisbon, un sourire aux lèvres.

- Je déteins sur vous on dirait !

Il eut la joie de voir un faible sourire apparaître sur le visage de Lisbon.

- Ne soyez pas trop prétentieux ! Cho et Rigsby vont faire le tour du voisinage, Van Pelt rentre au CBI faire des recherches sur la victime et je dois aller voir le légiste à la morgue, vous choisissez quoi ?

- Ma chère Lisbon, votre compagnie est très attrayante, n’en doutez pas, mais voir un homme découper un macchabée dérangerait mon estomac. Il est fragile vous savez. Et vu que je ne me vois pas faire du porte à porte toute l’après-midi par cette chaleur, je crois que je vais rentrer avec Van Pelt et attendre que vous m’apportiez des suspects …

- Ok, c’est vous qui voyez. A tout à l’heure !

Le trajet du retour se fit dans une bien meilleure ambiance qu’à l’aller. Van Pelt ne cessait de babiller gaiement, racontant à Jane les derniers potins au sein du CBI et des anecdotes sur des enquêtes qu’ils avaient menés auparavant, sans se douter que Jane s’en souvenait désormais.

Arrivés au CBI, Jane alla se faire un thé dans la cuisine et, voyant que Van Pelt était occupée sur son ordinateur, il monta directement au grenier.

Quelques heures plus tard :

Lisbon et les autres n’étaient toujours pas rentrés. Jane commençait à s’ennuyer. Il avait rangé les dossiers dans un carton placé au fond de la pièce et fait un peu de ménage. La pièce était presque accueillante désormais. Il était sûr que Red John viendrait, il ne fallait pas le laisser croire que c’était un piège. Il savait qu’il viendrait, il ne savait juste pas quand. Mais il se doutait qu’il ne tarderai guère, trop impatient de constater de visu la prétendue amnésie de Jane. Et effectivement, il ne tarda pas à entendre toquer à la porte. Il se leva pour ouvrir, abandonnant le livre emprunté à Cho sur la table désormais vierge de tous documents ayant trait à Red John. Apparut derrière la porte un homme en tenue de policier, la quarantaine, des cheveux bruns coupés courts, un visage banal, bref un homme comme on en croise des centaines tous les jours.

- Je peux vous aider ?

L’homme sourit.

- Alors c’est vrai ce qu’on dit, vous êtes amnésique ? Vous ne vous souvenez vraiment pas de moi Monsieur Jane ?

- Ne le prenez pas comme une atteinte personnelle, je ne me souviens de, et ben, plus ou moins rien en fait !

- Si je vous dis que nous avons eu de longues … conversations, sur William Blake, notamment, ça ne vous dit toujours rien ?

- J’aime William Blake ? Vraiment ? Intéressant choix poétique, un homme si tourmenté …

- Tout comme vous depuis le décès de votre famille.

- L’agent Lisbon m’a remis en mémoire cet … épisode … douloureux de ma vie d’avant.

- Vous a-t-elle aussi dit que le meurtrier n’a jamais été arrêté ?

- Elle l’a mentionné oui.

- Cela ne vous rend pas plein de haine et de colère que lui soit encore en vie et en liberté alors que votre famille est morte ?

Jane resta silencieux un moment. Reste calme, Patrick, incite-le à parler, il va faire une erreur, c’est forcé, tout ce que tu as à faire, c’est le faire parler.

- Vous savez, je pense que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne se fasse coincer par la police, personne n’est parfait, tout le monde fait des erreurs, et le jour où il en fera une, il se fera attraper.

- Qui vous dit qu’il en fera ? Il n’en a pas fait en quoi ? 28 meurtres, c’est ça ?

- Croyez-moi, tout le monde fait des erreurs, dit Jane en regardant dans les yeux celui qu’il savait être le meurtrier de sa famille.

Red John comprit que quelque chose clochait. Il balança un direct du droit assassin dans le visage de Jane, qui se retrouva au sol, à moitié assommé. Red John se précipita sur lui, et l’immobilisa, un couteau brillant plaqué contre la gorge de Jane.

- Tu as voulu me piéger hein Patrick ?? Mais tu devrais savoir qu’il ne faut jamais s’attaquer à plus malin que soi, et je suis plus malin que toi, tu aurais dû le savoir. Et maintenant que tu as vu mon visage, je vais être forcé de te tuer, tu comprends ? Je ne peux pas te laisser en vie, c’est trop dangereux, avant tu étais inoffensif, pauvre petit Patrick, tu te crois toujours si intelligent. Mais tu n’es rien - rien ! - à côté de moi. Je suis Red John !

Il leva son couteau alors que Jane essayait tant bien que mal de se défaire de l’étreinte mortelle de Red John.

La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent.Daniel Defoe

TBC ...

La nécessité nous délivre de l'embarras du choix.
Vauvenargues

Un coup de feu retentit. Red John lâcha son couteau qui tomba au sol avec un tintement métallique. Il écarquilla les yeux, et les baissa sur sa poitrine, de laquelle coulait un filet de sang.

« Non, pas comme ça … » chuchota-t-il alors qu’il s’affaissait sur Jane, toujours prisonnier.

Le consultant repoussa le corps inerte et ensanglanté de Red John et leva les yeux vers l’origine du coup de feu : Lisbon. Le regard fixé sur Red John, l’arme encore braquée sur lui, prête à faire feu à nouveau.

La détonation avait attiré l’attention de l’étage inférieur. Déjà des agents se pressaient dans l’escalier. Cho, Van Pelt et Rigsby surgirent les premiers. Ils virent leur patronne tenant en joue un homme inconscient vêtu d’un uniforme de police, et Jane à ses côtés, Jane dont la chemise portait une trace de sang. Van Pelt se précipita vers lui :

- Oh mon Dieu, Jane, tu es blessé ?

- Non Grace, tout va bien.

Et, désignant l’homme à terre, il ajouta : « C’est Red John ».

Rigsby et Van Pelt le regardèrent d’un air ébahi, tandis que Cho s’approchait de l’homme pour tâter son pouls. Il se releva rapidement : « Il est mort ».

Un soupir de soulagement s’échappa de trois poitrines à la fois. Lisbon baissa lentement son arme, et relevant des yeux hagards sur Jane, elle balbutia un faible « Oh mon dieu Jane ! … ».

Ledit Jane s’approcha lentement d’elle et posant ses mains sur les frêles épaules tremblantes de sa supérieure, il lui dit d’un ton très doux :

- C’est fini Lisbon, il est mort, ça va aller.

Elle enfouit son visage dans sa chemise et le serra de toutes ses forces.

- Je suis désolée, j’ai agi instinctivement, il allait vous tuer, oh mon Dieu, Jane je suis désolée !

Jane desserra son étreinte, son regard venant accrocher celui de Lisbon.

- Lisbon, vous n’avez pas à vous excuser, vous avez bien fait, c’était la meilleure solution.

Elle renifla, les yeux brillants.

- Alors vous ne m’en voulez pas ?

- Pas le moins du monde. Vous savez, je crois que je pensais vraiment ce que je vous ai dit l’autre matin, dans la cuisine ...

Elle sourit timidement.

- Merci.

Il sourit.

- Non, merci à vous. Merci pour elles.

Hightower arriva sur ces entrefaites, et vit un tableau qui la laissa perplexe un moment. Jane et Lisbon étaient dans les bras l’un de l’autre. Ils se regardaient et plus rien n’avait l’air d’exister à leurs yeux. A côté d’eux gisait un cadavre baignant dans une mare de sang. Rigsby essayait de faire se disperser les quelques agents attirés par le bruit du coup de feu, tandis que Cho, en bon professionnel, avait déjà enfilé une paire de gants, sortie d’on ne sait où, et emballait dans un sachet en plastique ce qui ressemblait fort à un couteau de boucher. Quant à Van Pelt, elle avait l’oreille collée au téléphone, appelant sans doute la morgue.

La jeune métisse s’approcha de Rigsby afin de l’aider à évacuer les curieux, qui ne se dispersèrent pas sans qu’elle ait à en menacer quelques uns. Elle se fit ensuite expliquer la situation par Lisbon, un peu remise du choc, mais toujours soutenue par Jane, comme en attestait son bras passé autour de la taille de sa supérieure. Jane en profita pour mentionner qu’il avait retrouvé la mémoire plus tôt dans la journée, en consultant les dossiers de sa femme et de sa fille. Lisbon lui fit bien évidemment un regard noir signifiant « Et vous nous l’avez caché ?? » tandis que Van Pelt sautait au cou de Jane en criant sa joie de le retrouver entier.

Plusieurs semaines passèrent, pendant lesquels les Affaires Internes interrogèrent tous les agents afin de déterminer le niveau de responsabilité de chacun dans ce « fâcheux incident » comme ils l’appelaient.

Jane en profita pour repeindre et vendre sa maison. Il en acheta une plus proche du CBI, et transféra ses affaires entreposées chez Lisbon dans son nouveau chez-lui.

Vint le jour de la délibération des Affaires Internes qui statueraient sur le sort de Lisbon. Toute l’équipe attendait dans le couloir, se relayant autour de la machine à café et sur ces affreux sièges absolument inconfortables disséminés le long du couloir.

- C’est pas normal, ça fait plus d’une heure qu’elle est là-dedans, c’est pas bon ça … gémit Rigsby

- T’inquiètes pas, ils reprennent juste les différents points de l’affaire avec elle, et probablement qu’ils vont en profiter pour lui asséner un petit blâme … le rassura Cho, pragmatique.

Jane lui, n’avait pas bougé de sa chaise depuis que Lisbon était entrée dans cette pièce. Il n’avait pas dit un mot, mais plus que son attitude, c’était son regard qui révélait la tension intérieure qui l’habitait. Un regard chargé d’inquiétude, et qui ne se décollait jamais de la porte, comme s’il voulait voir à travers.

La poignée s’abaissa, Jane bondit sur ses pieds.

- Alors verdict ?

- Ils classent l’affaire, aucune charge n’est retenue contre moi, je dois juste consulter le psy pendant quelques séances avant de reprendre le travail. Vous savez, pour voir si le fait que j’ai tué un dangereux criminel ne m’empêche pas de dormir la nuit …

- Vous vous en tirez bien … fit remarquer Van Pelt

- Il menaçait Jane avec un couteau aussi large que mon avant-bras ! En plus c’était Red John, le tueur en série le plus recherché de l’Etat voire même de toute la côte Ouest des Etats-Unis, et Hightower a personnellement veillé à ce que les bonnes personnes fassent pencher la balance du bon côté si vous voyez ce que je veux dire … Donc oui, je m’en tire bien …

- Que diriez-vous d’aller fêter ça quelque part ? C’est moi qui invite ! s’exclama Jane.

- Je connais un petit restau qui a ouvert il y a pas longtemps, il faut absolument que vous goûtiez leur cuisine, c’est une merveille !!

Tout le monde rit à cette exclamation de Rigsby. Alors qu’il faisait route vers ce « palais des délices », profitant de la tiédeur du soir pour y aller à pied, Jane se rapprocha de Lisbon, qui cheminait en silence.

- Qu’est-ce qui vous chiffonne Teresa ?

Elle tressaillit en entendant son consultant l’appeler par son prénom.

- Rien, c’est juste que … (Elle soupira) J’ai du mal à croire tout ce qui se passe. Red John est mort, vous ne m’en voulez même pas, vous restez travailler au CBI avec nous, et je ne me fais même pas suspendre par ma hiérarchie, j’ai l’impression que c’est trop beau pour être vrai, j’ai peur qu’un matin, j’entende la sonnerie du téléphone et qu’en décrochant on m’annonce qu’il a encore tué quelqu’un, que ce n’est pas lui que j’ai abattu …

- Eh Lisbon regardez-moi. C’est lui que vous avez tué, je vous le garantis, je vous ai déjà raconté la conversation que nous avions eu lui et moi avant qu’il ne se jette sur moi. Toutes les preuves sont là, le couteau, le fait qu’on ait retrouvé chez lui des photos de toutes les victimes, ce qui prouve qu’il se renseignait sur elles avant de les tuer, sans oublier le fait qu’il a été formellement identifié par Rosalind.

Elle resta silencieuse quelques instants.

- Vous avez probablement raison. Il faut juste que je m’habitue à l’idée …

- En tout cas, ce soir, s’il vous plaît, n’y pensez plus, ce soir, c’est détente, faites-moi plaisir, amusez-vous.

Elle ne put répondre. Rigsby revenait vers eux en courant :

- Eh dépêchez-vous un peu, on vous attend ! On est presque arrivés !

Et effectivement, un petit restau tout simple se dressa bientôt devant eux. Récemment ouvert, la clientèle ne se pressait pas aux portes ; ils purent donc avoir une table libre assez facilement.

La soirée se déroula dans une ambiance bonne enfant, entre les blagues et les tours de magie de Jane, les exclamations enthousiastes de Rigsby à chaque arrivée d’un plat, et les pseudi-réprimandes dont le gratifiait gentiment Van Pelt, Lisbon ne vit pas la soirée passer. Mais le serveur les chassa poliment, arguant de la fermeture de l’établissement, et les enquêteurs se retrouvèrent alors sur le chemin du retour. Ils se séparèrent bientôt, en se souhaitant bonne nuit, et chacun fit route vers son domicile.

Jane lui, resta songeur quelques instants. Il avait vraiment aimé cette soirée, il s’était senti à sa place dans cette équipe, parmi ses amis. Mais il lui manquait un petit quelque chose pour être vraiment comblé …

Lisbon elle, était rentrée directement. Elle ne rêvait désormais que d’une douche et d’un lit, même si un sourire heureux flottait sur ses lèvres, réminiscence de cette soirée quasi-parfaite. Arrivée chez elle, elle sauta sous la douche, mais à peine en fut-elle sortie qu’elle entendit toquer à la porte. Méfiante, elle prit son arme et regarda par le judas. Quand elle vit l’identité de son visiteur, elle ouvrit, inquiète.

- Jane ? Mais qu’est-ce que vous faites là ? Pourquoi vous n’êtes pas encore rentré chez vous ? Vous avez oublié quelque chose ?

Jane se tortilla d’embarras devant le regard plus que surpris de sa patronne.

- En fait, je voulais vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi depuis mon accident, et euh … je voulais aussi vous dire que …

Elle haussa les sourcils d’étonnement. Ce n’était pas le genre de son consultant d’hésiter avant de dire quelque chose.

- Voilà alors en fait je crois que – c’est une impression que j’ai hein ? – bref je crois que je commence à … comment dire ? développer … pour vous … quelque chose qui ressemble à de … l’a … enfin je veux dire quelque chose de plus que de l’amitié, acheva-t-il dans un murmure.

- Vous quoi ??

Dire que Lisbon était surprise était un euphémisme. Elle était d’autant plus choqué qu’elle n’avait rien vu venir. C’est vrai quoi, c’était son consultant, ils étaient proches mais de là à ce que Jane ressente quelque chose pour elle, il y avait un pas qu’elle s’était toujours refusé à franchir, mais à voir l’attitude de Jane à ce moment et surtout comme il fuyait son regard – le posant n’importe où sauf sur elle – elle sut qu’il ne mentait pas. Mais elle n’en revenait toujours pas de l’aveu qu’il venait de formuler.

- Vous savez quoi, Lisbon ? On va faire comme si je n’avais rien dit et que vous n’avez rien entendu ? Comme ça, vous allez pouvoir rentrer faire … ce que vous faisiez avant que j’arrive, et moi je crois que je vais … (Il pointa un doigt derrière lui) oui je crois que je vais rentrer, déclara-t-il en reculant petit à petit et toujours sans regarder Lisbon en face.

Il baissa la tête, honteux, et fit volte-face quand Lisbon l’interpella. Surpris, il se retourna et vit que Lisbon avait un drôle de sourire au coin des lèvres. Elle s’avança vers lui et, se haussant sur la pointe des pieds, elle vint déposer ses lèvres sur celles de Jane qui répondit immédiatement à son baiser, passant une main derrière sa nuque et l’autre autour de sa taille. Lisbon mit fin au baiser et caressant sa joue sur laquelle un soupçon de barbe faisait son apparition, elle chuchota :

- Moi aussi je crois que je ressens pour vous quelque chose de plus que l’amitié.

Jane crut que son cœur allait exploser de joie en entendant cette petite phrase. Les yeux brillants, il prit la main que lui tendait une Lisbon au sourire malicieux et la suivit dans la maison. La porte se referma sur leurs deux corps enlacés, soudés dans un baiser passionné …

La plupart des hommes font du bonheur une condition. Mais le bonheur ne se rencontre que lorsqu'on ne pose pas de condition.
Arthur Rubinstein