There will be blood (Légers spoilers saison 6). ^

Deux ans que son obsession prenait désormais forme dans son esprit. Il avait disposé d'un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, lui permettant de gamberger à son aise ; et ses réflexions profondes s'enroulaient toujours autour d'une seule et même personne : l'agent Teresa Lisbon. Laquelle s'était ingéniée non sans plaisir à détruire l'empire qu'il avait bâti avec tant d'acharnement et le condamner sans pitié à cet exil. La sentence avait été lourde, mais sa conduite exemplaire ainsi que son sens inné des affaires lui avait valu une réduction de peine considérable. Néanmoins, sa rancoeur contre Lisbon s'était accrue de jour en jour, à mesure qu'il évoluait dans ce taudis innommable. Représentation assez fidèle de la lie de l'humanité. Comment avait-elle pu imaginer une seule seconde que cet affront lui resterait éternellement impuni ? Il était certes parvenu à obtenir une cellule isolée, sa renommée nationale le lui permettant aisément, mais ça n'avait pas suffit à essuyer cette injure à l'ego. Au moins avait-il échappé aux humiliations, violences sexuelles et trafics qui étaient le sordide lot commun de ses compagnons d'infortune. Il n'en demeurait pas moins qu'une brisure s'était opérée en lui, donnant naissance à un sentiment jusqu'alors inconnu : la haine viscérale. La mort était originellement un moyen pour lui d'asseoir son pouvoir, de garder en sa possession le fin mot de l'affaire, mais n'avait jamais été une finalité en soi. La soif de sang, c'est pour les impuissants, les tarés, les piètres stratèges, du moins le croyait-il. Ses certitudes ne s'en étaient trouvées que plus bouleversées alors qu'il avait compris que son existence ne pourrait reprendre une marche décente qu'après avoir accompli son funeste projet.

Il avait appris de source sûre la dissolution du CBI à la suite de la mort de Red John, doublée d'une opération précédente qui s'était achevé d'une façon plutôt tragique. Ce n'était jamais que deux cadavres et une vieille bâtisse carbonisés : il ne comprenait pas que quiconque puisse être remué par des faits si insignifiants, mais il n'ignorait pas que Lisbon n'y était sans doute pas insensible. Elle avait désormais intégré le FBI en tant qu'agent spécial, s'était retrouvée séparée d'une partie de son entourage professionnel et devait se lamenter sur son degré de responsabilité dans l'affaire : autant de faiblesses qui ne rendraient la partie que plus distrayante. Evidemment, il pourrait tout aussi bien en finir avec elle de manière plus ou moins radicale, mais rien ne serait moins intéressant qu'un vague meurtre à la sauvette. Ce qui l'émoustillait plus que tout, c'était la douleur que pourrait ressentir cette dernière, l'écrasement qui s'emparerait d'elle insidieusement, la perspective qu'elle soit convaincue de sa propre mort comme seule issue.

Il savait exactement comment torturer la fragile Teresa sous ses airs invulnérables. Rien ne serait sans doute plus dur pour elle que la perte progressive de tous ceux qu'elle avait côtoyés ou croisés durant sa minable existence. Il ne souhaitait pas se muer en un Red John de substitution, peu lui importait le rituel, l'esthétisme de la scène de crime : tous les proches de Lisbon mourraient, de quelque façon que ce soit, par la main de l'un de ses hommes. Entre temps, il octroierait le délai nécessaire à Teresa pour se donner l'illusion de deuil, avant de faire abattre la prochaine cible. Un tel procédé n'en serait que plus cruel sur le long terme ; il faudrait être vigilent, concis et pragmatique. Ne pas trop s'éterniser sans se précipiter. Il suffisait de garder en mémoire sa réaction lorsqu'il avait ordonné l'élimination d'Amanda Shaw et qu'il s'était délecté de ses derniers gémissements. Il n'osait alors imaginer l'impact qu'aurait le suicide de son frère Tommy, la disparition inexpliquée de sa douce nièce Annabeth ; l'apothéose finale étant sûrement le moment où il tuerait Jane de ses propres mains sous les yeux de Teresa, avant d'en finir définitivement avec elle. Il ne rendait pas véritablement Patrick Jane responsable de son incarcération, celui-ci n'était qu'un charlatan médiocre qui avait somme toute très peu interféré dans l'enquête. Son seul tort était d'être devenu l'amant de Lisbon, l'homme auquel elle tenait plus qu'à tout autre, ce qui faisait de lui l'ultime pièce du tableau final. Il n'aura pas savouré très longtemps ce nouveau départ, voilà qui est fort regrettable.

Savourant à l'avance sa tragique réalisation, il se sentit envahit par un regain de dignité et de détermination. Il pianota le numéro de Lisbon, espérant que celle-ci ne l'ait pas changé entre temps, sans quoi il lui faudrait demander à l'un de ses hommes d'obtenir l'information ; ce qui serait un fâcheux contretemps. Les sonneries s'égrenèrent dans le vide et basculèrent bientôt sur messagerie, où une voix claire reconnaissable entre mille déversa les quelques mots consacrés à l'usage. Elle devait sans doute se payer du bon temps, et c'était une bonne initiative que d'en profiter tant qu'elle le pouvait encore. La ligne émis un discret bip qui lui laissa la parole :

"Bonsoir Teresa ... Vous me reconnaissez, n'est-ce pas ? Je souhaitais vous informer de la fin de mon incarcération. J'ai purgé ma peine, comme vous le désiriez. Durant ces deux ans, vous m'avez beaucoup manqué, Teresa ..." Il marqua un bref silence éloquent et se racla la gorge. "La partie ne fait que commencer, cher agent Lisbon."

Tommy Volker coupa la communication et se rencogna dans son siège, un rictus suffisant aux lèvres.