Larmes du ciel, larmes du coeur ^

POV de Lisbon

Assise dans le canapé, je repensais encore à la discussion que nous venions d’avoir, lui et moi.

« Ne te tracasse pas, Teresa. Je comprends et te laisserai le temps nécessaire. » dit-il en revenant de la cuisine, un verre de vin dans chaque main. Il s’assit et m’en tendis un que je saisis, le remerciant d’un sourire crispé.
Andrew et moi étions ensemble depuis quelques mois maintenant.
Notre rencontre était digne d’un film à l’eau de rose : j’étais arrêtée à un feu rouge quand il m’avait embouti le pare-choc arrière. On ne pouvait plus classique.

La première chose qui m’avait attirée chez lui était son regard bleu océan qui n’était pas sans me rappeler celui de mon insupportable consultant. Mais, à l’inverse de celui-ci, Andrew avait tout de l’homme idéal. Il se taisait sans que je le supplie, respectait mon besoin de solitude, et, depuis notre second rendez-vous, ne me faisait plus de surprise. Il faut dire que cette soirée-là était de loin la pire. Voulant m’impressionner, il avait décidé de me bander les yeux m’emmenant dans un parc pour un pique-nique. Jusqu’ici rien d’anormal… sauf que la pluie s’était jointe à nous! Le pauvre, il avait été complètement dépité. A ce souvenir, je souris, ce qui ne lui échappa pas.

- A quoi penses-tu ?
- A cette soirée pluvieuse…
- Ah… je crois qu’on ne peut l’oublier ! Répondit-il dans un sourire. D’ailleurs, ce soir y ressemble, en dehors du fait que tu n’as pas de bandeau et que nous sommes à l’abri.

Il s’approcha de moi, déposa ses lèvres sur les miennes et accentua rapidement le baiser… Baiser que je dus rompre quand mon portable sonna. Le CBI. Mon travail ne l’avait jamais dérangé, bien que je susse qu’il était parfois inquiet de me savoir sur le terrain à traquer des criminels.

A la fin de la communication, je retins un soupir tandis qu’il prenait nos verres et les ramenait dans la cuisine.

- Laisse-moi deviner, un meurtre ?  
- Un meurtre.
- Tu reviens cette  nuit ?
- Aucune idée. Je ne pense  pas.

Il s’approcha, posa les mains sur mes hanches et m’embrassa.

« Nous reparlerons de tout ça plus tard. »  Je hochai la tête, me détachai de lui, pris mes affaires, déposai un rapide baiser sur ses lèvres et partis.

Fin des POV

Arrivée sur place, Lisbon rejoignit son équipe. A sa grande surprise, Jane était déjà présent. Elle lui lança un regard interrogateur auquel il répondit avec une expression outrée «  je ne suis pas toujours en retard, Lisbon ! » Elle leva les yeux au ciel, essuyant les quelques gouttes de pluie qui lui tombaient sur le visage.

- Qu’avons-nous ?
- Emma Johnson, 38 ans, tuée par arme blanche, de nombreux coups, énuméra Cho.

Jane observait la scène de crime, quelque chose l’intriguait. Il observa consciencieusement la victime, tourna son visage dans la même direction que celui de la jeune femme et s’avança vers quelques buissons dissimulés dans la pénombre. Il écarta quelques branchages et découvrit une jeune fille tremblante recroquevillée sur elle-même.


POV de Sarah

J’avais entendu des sirènes, des pas, des voix. J’avais vu les flashs d’appareil photo, entrevu des jambes, mais je ne bougeais pas, je ne pouvais pas. La peur me paralysait encore, et j’avais toujours autant de mal à respirer, les sanglots formant une boule dans ma gorge. Il pleuvait, l’eau s’insinuait à travers mes vêtements, j’avais froid, mais je ne bougeais pas. Une autre voiture était arrivée, une femme en était sortie, avait pris la parole et j’avais entendu un homme s’adresser à elle, puis un autre lui dire ce qu’il s’était passé. Là encore je restais immobile. Si quelqu’un me trouvait, alors lui aussi y arriverait. Je devais rester cachée, elle me l’avait demandé.

Tout à coup, je distinguai des pas se rapprochant de l’endroit où je me terrais. Instinctivement je me repliai un peu plus sur moi-même, les yeux clos. Un bruissement se fit, et terrifiée, j’ouvris les yeux. Un homme se tenait là, blond aux yeux clairs, il semblait aussi surpris que moi.

« Lisbon ! » cria-t-il tout en continuant de me regarder.
- Jane, fit la voix féminine perçue tout à l’heure et qui semblait s’avancer vers nous, combien de fois vous ai-je demandé de ne pas vous éloigner de la scène de crime et de ne toucher…
- à rien je sais ! C’est ce que j’ai fait, mais je crois que nous avons un témoin. Répliqua-t-il en me montrant de la main.

La femme, Lisbon, s’approcha à son tour, et tout de suite son visage fut plus doux, un sourire rassurant se dessina sur ses lèvres.

« Bonjour, je m’appelle Teresa Lisbon, je suis de la police, et voici mon collègue, Patrick Jane » dit-elle d’une voix douce. Je me contentai de les regarder, un peu moins inquiète, mais restant sur mes gardes tout de même. « Tu peux venir, nous ne te ferons aucun mal » ajouta-t-elle en me tendant la main. J’avais envie de la croire, son regard n’avait rien de menaçant, il était au contraire empli de tendresse et de sincérité. Pourtant quelque chose me retenait, sans que je sache pour autant ce dont il s’agissait. Je reportai mon regard sur l’homme, Jane, qui me sourit lui aussi. Il avait cet air serein mais ses yeux trahissaient une certaine inquiétude et une tristesse.

Fut-ce pour cela ou parce qu’il semblait bien plus fort, plus grand, plus sécurisant que la femme, je tendis timidement ma main vers lui. Il s’empressa de la saisir, la serrant dans la sienne, m’aidant à sortir de ma cachette doucement. Sans réfléchir, je me blottis contre lui, laissant enfin aller les larmes, les tremblements et la peur qui m’étreignaient depuis plusieurs heures, et que j’avais refoulés du mieux possible.

Etonné, l’homme mit quelques secondes à reprendre contenance, mais je sentis enfin ses bras m’étreindre, et pour une fois depuis longtemps, je me sentais un peu en sécurité. Le silence se fit, il ne disait rien, la femme non plus.

« Patron ? »

La voix me fit sursauter, et les bras de Jane me serrèrent un peu plus, mais ne purent calmer mes tremblements. Je me retournai, et vis un asiatique à l’air peu commode s’adresser à Lisbon.
Celle-ci me sourit, et se tourna vers l’homme.

- Oui Cho ?
- Il y avait une photo de la femme avec une enfant dans le portefeuille… C’est elle, fit-il en me désignant de la tête.

Je m’accrochai un peu plus à la veste de Jane, tout en ne quittant pas des yeux Lisbon et ce Cho. « Merci Cho. Retournez auprès du légiste afin d’avoir de plus amples informations. » Il hocha la tête et s’éloigna, je me détendis un peu, et observai la femme s’approcher de moi. «  Emma était ta mère, n’est-ce pas ? » j’acquiesçai, tentant de retenir les larmes qui menaçaient de couler à nouveau.

- Comment t’appelles-tu ?
- Sarah. Sarah Johnson.

POV de Jane

La tête penchée vers cette jeune fille, Sarah, je contenais de mon mieux les souvenirs de ma fille, se nichant dans mes bras comme le faisait actuellement cette adolescente. Elle me jeta un regard confus, et s’écarta de moi sans pour autant s’éloigner. En observant Lisbon, je notai que les souvenirs l’avaient envahie elle aussi. Elle savait ce que pouvait ressentir Sarah, perdre sa mère est sans doute l’une des pires choses qui soient au monde. Mais y assister ajoutait encore plus au macabre de la situation. Patiemment, Lisbon réussit à la mettre en confiance en lui demandant son âge, le lycée où elle allait, et d’autres détails qui, à première vue n’avaient que peu d’importance, mais qui pouvaient éclairer l’enquête. Je souris en la regardant faire, et bien qu’elle ne l’aurait jamais avoué, elle méritait le surnom de Sainte Teresa.

Nous nous dirigions vers l’ambulance tout en discutant, et je remarquai que Lisbon avait empêché Sarah d’apercevoir une nouvelle fois le corps de la victime en se mettant de façon à faire écran entre la jeune fille et sa mère. A son passage, le légiste la retint par le bras, et lui murmura quelque chose à l’oreille. Aussitôt, Lisbon pâlit, sa mâchoire se contracta, et elle me jeta un regard lourd de sens, tout cela en l’espace de quelques secondes. Les mots étaient désormais inutiles. Sarah n’avait pas seulement été témoin du meurtre de sa mère.

Arrivée à la camionnette des secours, Lisbon aida Sarah à s’asseoir, lui mit une couverture sur les épaules, et au moment où celle-ci s’éloignait afin que les urgentistes l’emmènent à l’hôpital, l’adolescente tira sur sa manche.

- Reste ! supplia-t-elle.

Elle semblait si vulnérable en cet instant !

- Je… je ne peux pas, je… fit Lisbon mal à l’aise. Elle tentait de lutter contre les sentiments de pitié et de compassion qui l’envahissaient. Son désir de protéger les plus faibles était encore plus fort lorsqu’il s’agissait d’enfants, et ce cas-là ne faisait pas exception à la règle.
- Allez-y Patron, intervint Cho. On se débrouillera sans vous.

Tiraillée entre prendre soin d’un témoin et élucider le meurtre, Lisbon regarda tour à tour Sarah et son collègue, acquiesça et monta dans la camionnette.

- Jane, rejoignez-moi à l’hôpital, prenez ma voiture, mais je vous préviens s’il y a la moindre éraflure ça ira très mal pour vous ! déclara-t-elle en me lançant les clés.
- Bien, chef ! Je ferai attention, comme toujours ! rétorquai-je dans un sourire, qui lui fit lever les yeux au ciel, avant de refermer la porte.

Après m’être enquis de la destination, je rejoignis Lisbon dans le couloir près de la zone d’examens. Appuyée contre le mur, elle semblait en proie à l’inquiétude. Le regard fixé à la porte close face à elle, je me doutais qu’elle replongeait peu à peu dans ce qu’avait été son adolescence, et décidai de l’en tirer.

- Vous voulez en parler ?

Elle tourna les yeux vers moi, baissa la tête et esquissa un timide sourire.

- Ca va aller. C’est juste que…
- Cette jeune fille vous rappelle celle que vous étiez, finis-je pour elle.
- Oui. Elle a assisté au meurtre de sa mère, et malgré cela, elle reste forte. Je ne sais où elle puise ce courage.
- Elle a un caractère bien trempé, même si elle est encore sous le choc, on voit qu’elle n’aime pas se montrer faible. Ca me rappelle quelqu’un… pas vous ?

Je souris, essayant de capter son regard qui ne tarda pas à s’ancrer au mien. Elle secoua la tête, sourit un peu plus franchement et répondit :

- Je ne vois pas du tout de qui vous voulez parler, Jane !

Encore une fois, je venais de réussir à la dérider ne serait-ce que quelques minutes. Soudain la porte claqua et une tornade brune se jeta dans les bras de Lisbon. Sarah tremblait et semblait terrifiée. Un médecin arriva, les poings sur les hanches. Instinctivement, Lisbon se redressa, serrant Sarah contre elle.

- Je peux savoir ce qu’il se passe ? demanda Lisbon à l’homme en blouse blanche.
- Je dois ausculter cette jeune fille, mais elle refuse que je la touche.

Sarah fixa Teresa, effrayée. Cette dernière, soupira et répondit «  Laissez-nous quelques minutes », puis elle s’éloigna, Sarah toujours contre elle, sous le regard du médecin qui perdait patience.

Quelques minutes plus tard, Teresa revint, Sarah à ses côtés.

- Demandez à un médecin femme de venir pour l’ausculter.
- Ecoutez Madame, je n’ai pas de temps à perdre avec les gamineries de cette jeune fille ! Qu’est-ce que cela change que ce soit moi ou une autre qui l’examine ?

Dans une grimace, je ne pus retenir un sourire en voyant Lisbon s’énerver à son tour.

- Pour vous, ce sera Agent Lisbon du CBI, fit-elle fermement en montrant sa plaque. Cette adolescente est sous ma protection, et je dois veiller à ce qu’elle ne subisse d’autres traumatismes après celui qu’elle vient de vivre, déclara-t-elle d’un ton froid n’admettant aucune réplique.

Le médecin, mal-à-l’aise, se contenta d’acquiescer, et avança dans le couloir à la recherche d’une de ses consœurs. Au bout de quelques instants, une jeune femme se dirigea vers eux. « Bonjour, je suis le Docteur Tunner, se présenta-t-elle à nous trois, veux-tu bien venir avec moi ? » Sarah se retourna vers nous, et nous lui sourîmes en retour.

- Tes parents peuvent nous attendre là, ajouta-t-elle en ouvrant la porte de la salle.
- Mais nous ne…
- Merci beaucoup Docteur, répondis-je dans un sourire en interrompant ma collègue.

Sitôt la porte fermée, Lisbon se tourna vers moi :

- Jane ! Je peux savoir à quoi vous jouez ?!
- Moi ? Mais à rien, fis-je innocemment.

Mon attitude ne fit qu’amplifier sa fureur et elle me darda d’un regard aussi noir que possible ce qui me força à céder… pour cette fois.

- Sarah est visiblement le seul témoin du meurtre de sa mère. Moins de personnes connaitront son identité, mieux ce sera, vous ne croyez pas ?
- Vous avez raison, seulement…
- Seulement quoi ?

Elle se dandina d’un pied sur l’autre, signe qu’une chose la perturbait.

- Vous trouvez que je suis vieille ? m’interrogea-t-elle d’une petite voix.
- Quoi ?!

Lisbon était pleine de surprises, je le savais, et bien que je susse lire en elle comme dans un livre ouvert, elle savait malgré cela me surprendre.

- Cette femme a dit «  tes parents », c’est que je fais assez vieille pour être la mère d’une adolescente. Alors…

Sans lui laisser le temps de finir je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. Rire qui cessa très vite sous son regard incendiaire.

- Je vous rassure Lisbon, vous n’êtes pas vieille. Il est tout à fait normal qu’on nous prenne pour ses parents étant donné qu’elle ne vous lâche pas. D’autant plus que Sarah fait plus jeune que ses 17 ans, vous ne trouvez pas ?

Sceptique, elle hocha la tête, et fixa de nouveau la porte.


POV de Lisbon

Le silence prit place et les minutes s’égrainèrent.

- Lisbon ?
- Oui Jane ?
- Pourquoi Sarah semblait-elle si apeurée par ce médecin ?
- Je me demandais quand vous alliez poser la question, répondis-je en souriant. Elle n’a pas confiance en les hommes. Encore moins lorsqu’il s’agit de ce genre… d’examen, fis-je un peu gênée de parler de cela avec lui. « Oh… » fut la seule chose qu’il put sortir.

Le silence reprit ses droits jusqu’à la sortie de Sarah et de la praticienne. Sarah était en parfaite santé et pouvait sortir dès à présent.

Nous arrivions sur le parking quand mon téléphone sonna. Tout en décrochant, je fis signe à Jane et Sarah de monter.

« Cho vient de m’apprendre qu’ils ont retrouvé l’arme dans une benne quelques rues plus loin, leur annonçai-je en rentrant à mon tour dans le véhicule. C’est un SDF qui les a prévenus. Il croyait que l’homme avait jeté quelque chose de « précieux » qui pourrait lui servir. Quand il a vu qu’il s’agissait d’une arme ensanglantée, il a appelé. »

Lançant un coup d’œil dans le rétroviseur, je vis Sarah se tendre. « Nous allons au CBI. Là-bas, personne ne te trouvera. Tu es en sécurité à présent. » Elle se força à sourire en guise de réponse et tourna la tête pour regarder la route.
Jane fut étrangement calme tout le long du trajet. Ce n’est qu’en sortant de la voiture, et avoir laissé quelques pas entre Sarah et nous, qu’il évoqua un point que j’avais totalement oublié :

- Lisbon, savez-vous si Sarah a un père ? Peut-être pourrait-il s’en occuper, une fois l’histoire terminée.
- Non, Jane, je n’ai pas pensé à cela. Mais elle nous en aurait parlé si elle en avait un, vous ne croyez pas ? Elle aurait demandé à le voir, ou, du moins à le prévenir de la mort de sa mère, non ?
- Si vous le dîtes…, fit-il en appelant l’ascenseur, espérant sûrement mettre un terme à la discussion.
- Vous ne semblez pas convaincu, ajoutai-je, bien décidée à savoir ce qu’il pensait.
- Demandez-lui.
- Me demander quoi ? intervint l’adolescente qui venait de pénétrer dans l’ascenseur.

Furibonde, je toisai mon consultant, soupirai et questionnai enfin Sarah :

- As-tu… Y a-t-il quelqu’un que l’on puisse prévenir de ce qui t’arrive ?

Elle ancra son regard au mien sans un mot, un regard empli de détresse et de douleur, jusqu’à ce que les portes s’ouvrent.

- Non. Il n’y a personne. Mon père est mort à ma naissance.

Elle baissa la tête.

- Il y a des toilettes ici ?

Jane les lui indiqua, et fit quelques pas dans le couloir. Quant à moi, je restai là, pétrifiée par ce que je venais d’entrevoir au fond de ses iris noirs. Ces sentiments me ramenaient des années en arrière. En dehors de cette profonde tristesse, il y avait cet éclat d’insouciance et de bonheur qui s’était éteint, il n’y avait plus de vie joyeuse, plus de fous-rires, plus d’espoir,  plus rien. Plus rien.

« Lisbon ? » Mes yeux se portèrent sur un Jane inquiet, les sourcils froncés. « Tout va bien ? » Un peu perdue, je hochai la tête et me dirigeai vers mon bureau. « Lisbon ? » prononça-t-il encore tout en me suivant. J’ouvris la porte de mon bureau, et, le cœur empli de sanglots, lui intimai sans me retourner «  Laissez-moi, Jane. Juste… laissez-moi. » et entrai.

POV de Jane

Abasourdi, je laissai Lisbon fermer la porte sans tenter de discuter. Sarah s’approcha de moi « Lisbon a besoin d’être seule quelques instants » dis-je en réponse à sa question muette. « Viens, je vais te présenter à l’équipe », la dirigeant vers l’open-space.

Je savais que Lisbon avait besoin de faire le point, de trouver la force nécessaire pour prendre du recul face à toute cette histoire. Sarah avait beau être différente, elle avait le même caractère, la même vision des choses, et, depuis ce soir, les mêmes blessures. A cette idée, je reportai mon attention sur la jeune fille qui discutait avec Grace assise sur… mon canapé !

- Je ne crois pas t’avoir dit de t’asseoir sur mon canapé ! m’exclamai-je en la rejoignant, souriant.
- Votre nom n’est pas marqué dessus alors je me suis dit que j’avais le droit, répliqua-t-elle sur le même ton que moi.
- Jane déteste qu’on touche à son canapé. Lisbon est la seule à pouvoir s’y poser sans risques, intervint Grace.

Le sourire de l’adolescente se flétrit, et guetta une réponse de ma part. Je gardai pendant quelques secondes un visage impassible puis sourit et déclarai :

- Je peux faire une exception… à une condition : cesse de m’appeler « monsieur » et de me vouvoyer. Appelle-moi Patrick ou Jane comme l’équipe.

Aussitôt son visage s’éclaira.

- Je ferai de mon mieux, Jane, assura-t-elle en s’enfonçant un peu plus dans les coussins.

Etrangement, Lisbon n’était pas la seule à être troublée par Sarah. Jamais auparavant je n’avais agi ainsi envers un témoin. Cela m’était venu naturellement. Ce n’était pas de la pitié, non, c’était autre chose. Comme lorsque j’avais trouvé cet oisillon tombé du nid et que j’avais sauvé des griffes d’un chat errant. C’était ce même désir de protection, cette envie de lui montrer que tous les hommes n’étaient pas mauvais, qu’elle pouvait avoir confiance.
Un comble pour un homme qui n’avait pas su protéger sa famille.

- Je vois que tout se passe bien ici, fit une voix.
- On ne peut mieux Lisbon, rétorquai-je d’un air taquin.

C’était comme cela depuis des années. Mon sourire et mes plaisanteries étaient un masque cachant toute la douleur que j’éprouvais. Teresa avait déjà tenté de le percer, mais n’avait réussi qu’à n’en enlever qu’une simple couche. Je tenais à l’épargner et, comme toujours, elle avait respecté mon choix.

- Jane m’a autorisé à m’asseoir ici.
- Je suis heureuse de constater que Jane devient enfin partageur, railla-t-elle en venant prendre place à son tour près de Sarah.
- Disons qu’avec des caractères comme le vôtre, il vaut mieux être votre ami que votre ennemi, la provoquai-je.
- Vous ne vous êtes jamais demandé si vous influiez sur mon caractère ?
- Honnêtement ? Non. A vrai dire, je suis persuadé que vous êtes ainsi depuis votre naissance.
- Je ne sais pas ce qui me retient de vous coller mon poing dans la figure.
- Mais je vous en prie Lisbon, allez-y, mais ailleurs que devant Sarah. Je crois qu’elle a eu son lot de violences.

Ma répartie la surprit, et elle se cala contre l’accoudoir.

- Patron, s’immisça Cho, j’ai les renseignements que vous m’avez demandé.

Lisbon se saisit du dossier qu’il lui tendait, et le parcourut rapidement. En la dévisageant, je compris que quelque chose n’allait pas.

- Cho, Rigsby, Van Pelt et vous rentrez chez vous vous reposer. Je vous veux en pleine forme demain.

S’il en fut étonné, Cho ne laissa rien paraître et après un bonsoir, chaque membre de l’équipe s’en alla. Ne restaient plus que Lisbon, Sarah et moi.
Elle soupira, se passa la main dans les cheveux et s’adressa à Sarah.

- Sarah, pourquoi m’avoir menti ? Il est marqué ici que tu as un beau-père.

A ces mots un éclair de terreur passa sur le visage de la concernée qui se mit à secouer la tête frénétiquement.

- Non, non ! Maman l’a quitté il y a des mois maintenant ! On n’était que toutes les deux ! Il ne faut pas le prévenir, il ne faut pas ! Cria-t-elle avant de courir se réfugier dans le bureau de Teresa.

Cette dernière se leva pour la rejoindre, mais posant ma main sur son avant-bras, je lui fis comprendre que je m’en occupais.

Doucement, et chose rare chez moi, je toquai. Pas de réponse. J’ouvris alors la porte et distinguai une masse retranchée dans un coin de la pièce, à demi-cachée par la pénombre.


POV de Sarah

Non, non, non ! Quand l’agent Lisbon avait évoqué mon beau-père, tous les souvenirs de ces mois passés étaient remontés en moi, comme un flot que je ne pouvais canaliser. C’était dur, trop dur. Impossible à supporter. Je savais que les larmes couleraient, et je ne voulais pas qu’ils me voient pleurer. Pas encore. La tête posée sur les genoux, laissant les gouttes d’eau salées se frayer un chemin entre mes paupières closes, j’entendis qu’on frappait à la porte. Incertaine de ma voix, je n’allais sûrement pas répondre. L’agent Lisbon se renseignerait un peu plus, et finirait par découvrir qui était réellement cet homme. Même si elle m’évitait de retourner chez lui, elle ne pourrait empêcher l’assistante sociale de me placer dans une famille d’accueil, et cela me terrifiait. Si Jane m’avait trouvé, alors, lui aussi remonterait jusqu’à moi.

La porte s’entrouvrit, et je resserrai mon emprise autour de mes genoux. « laissez-moi » lançai-je maudissant la faiblesse de ma voix, trahie par les sanglots. Le visiteur non désiré s’assit près de moi, et ne parla pas pendant longtemps, des minutes, des heures ? Qu’importe. J’avais avant tout besoin d’évacuer cette douleur qui ne semblait vouloir partir, et au fond de moi, je sentais la colère poindre. Je devais la refouler, la colère n’amenait rien, Maman me l’avait dit si souvent. « Agir sous la colère ne résout rien et n’engendre que regrets, et bien souvent, il est trop tard pour réparer » ressassait-elle lors de nos disputes typique mère-fille. Maman. Aussitôt mes pleurs reprirent de plus belle. Lorsque ceux-ci s’espacèrent, la voix du visiteur s’éleva.

« Je sais ce que tu ressens. La douleur est tel un poignard qui nous écorche le cœur, s’enfonce au plus profond sans qu’on ne puisse rien y faire. On souffre, on s’écroule, on perd tous nos repères, on a soudain l’impression que chacun de nos souvenirs heureux disparait, on en oublie de croire que la vie puisse de nouveau nous sourire. Et c’est pourtant le cas. Il arrive un jour où quelqu’un entre dans ta vie, et qui, petit à petit, soigne ton cœur meurtri. Il suffit d’un sourire, de quelques mots, d’un regard de sa part pour que le soleil sèche les larmes de ta blessure. Je ne dis pas que ta souffrance ne sera plus là demain, c’est faux. Il faut du temps pour qu’elle cicatrise, et cette cicatrice te fera mal parfois, au point que tu aies peur que la faille ne se rouvre. Mais garde confiance. Il y a toujours quelqu’un sur qui tu pourras compter. »

Relevant la tête, les dernières perles descendant vers mon menton, je le regardai, et perçus dans la semi-obscurité ses yeux briller. « Tu as perdu ta mère aussi ? » m’enquis-je en reniflant. Il fit non de la tête, et la baissa. « Ma femme et ma fille. » Il me fixa à nouveau et essuya les vestiges de larmes en me souriant tendrement.

- J’ignore ce que ton beau-père a fait exactement, mais je te promets que quoi qu’il arrive, tu ne retourneras pas avec lui.
- Tu me le jures ?
- Oui. Lisbon ne te laisserait pas non plus avec un homme qui t’as fait souffrir physiquement et moralement.

A ces mots, mes yeux s’agrandirent sous la surprise.

- Comment… ?
- Ta réaction n’était pas exagérée, et nous avons vu passer beaucoup de personnes qui ont subies des violences au sein de leur famille.

Je me relevai, et m’avançai vers la fenêtre du bureau. Je savais qu’il disait vrai, son regard ne mentait pas. Mais méritait-il que je lui fasse confiance à ce sujet ? Je l’ignorais, et bien qu’il fût le seul homme avec qui je me sentais bien, cela ne m’aidait pas. Regardant la rue, je respirai profondément, comme lorsque l’on s’apprête à plonger dans une piscine.

« Mon beau-père est alcoolique. Il buvait en rentrant de son boulot, mais bien vite, il a été licencié. Il buvait de plus en plus, et chaque soir, lorsque Maman rentrait du travail, il était soûl et… » je m’arrêtai soudain, ne pouvant mettre de mots sur ce qu’il lui faisait vivre, alors qu’elle me disait de foncer dans ma chambre, de fermer la porte à clé et de prendre le téléphone au cas où elle ne venait pas me chercher. Comment lui dire que ses cris me parvenaient et que j’étais impuissante, condamnée à me boucher les oreilles et à fermer les yeux le plus fort possible pour ne plus percevoir ses supplications.

J’entendis Jane se lever à son tour, et me rejoindre, restant à quelques pas de moi. Il frôla mon épaule de sa main et je me dégageai, tout en me retournant, les larmes aux yeux. « Un soir, Maman n’est pas rentrée à l’heure habituelle. Il m’a vu et a voulu me frapper, seulement je me débattais et ça lui a déplu alors, il a pris un couteau dans la cuisine et… » tout au long de ma tirade, j’avais relevé petit à petit la manche de mon t-shirt, et lui permis ainsi de voir le « souvenir » gravé dans ma chair. « Il a dit que des femmes comme ma mère et moi ne méritaient autre chose que des coups, je l’ai supplié, mais il n’y avait rien à faire, il a enfoncé la lame dans mon bras, et un cri a retenti. Maman venait d’entrer. Ce soir-là, on a pris nos affaires, et on est parties. Je ne l’ai plus revu, et je ne supporterai pas de le revoir.» Le silence tomba durant quelques secondes, laissant Jane choqué. Devant son regard horrifié je jugeai bon d’ajouter « Ne t’inquiète pas je n’ai plus mal ».

Nous nous tenions là, l’un presque en face de l’autre, quand la porte s’entrouvrit, laissant apparaître la tête de Lisbon. « Sarah, Jane, est-ce que… ? » dit-elle en allumant. Son regard s’attarda sur moi qui me dépêchais de remettre ma manche. Elle jeta un coup d’œil à Jane et entra doucement, guettant ma réaction. « Sarah ? Qui t’a fait ça ? » J’évitai son regard, espérant échapper à ces sentiments que je pouvais y lire. Je fixai Jane en quête d’aide « son beau-père » souffla-t-il. Aussitôt Lisbon comprit, et demanda avec quelle arme et quand cela avait-il eu lieu. Au cours de mon récit, quelque chose sembla la déranger.

VLS!   

POV de Jane

7h30. Avachi sur mon bureau, la tête sur mes avant-bras, j’entendais Lisbon s’affairait dans la cuisine. Souvent je lui préparais son café, mais après les mots de cette nuit, je ne pouvais pas. Elle n’avait pas tort, du moins sur le fait que Sarah me rappelait ma fille. Je n’avais pas dormi, ses propos tournant sans cesse dans ma tête. En observant Sarah, je compris ce que Lisbon avait voulu dire. Il me fallait tirer un trait sur mon passé pour pouvoir vivre pleinement ma vie, mais étais-je prêt à cela ? De tout mon cœur je souhaitais venir en aide à cette adolescente, lui montrer que la vie n’était pas si cruelle, mais n’était-ce pas vain ? Cela ne sonnerait-il pas faux venant d’un homme qui, depuis dix ans, traquait sans relâche un serial-killer ?

Une tasse fumante entra dans mon champ de vision mettant fin à mes réflexions. Je levai les yeux et vis une Lisbon au sourire hésitant. « Je me doute que vous n’avez pas dû dormir alors… » Hochant la tête je saisis la tasse et avalai une gorgée de mon breuvage. Parfait. Lisbon savait le préparer comme je l’aimais. Je savais ce qu’elle cherchait à faire. Ca n’allait d’ailleurs pas tarder. 5…4…3…2…1…

- Ecoutez Jane, je suis désolée pour cette nuit.

Bingo.

- C’est oublié Lisbon.
- Je n’avais pas à vous dire ça, et je m’en veux sincèrement. Si je peux faire…
- Lisbon !

Elle s’arrêta enfin.

- Vous avez raison. Je ne suis pas le plus à-même pour m’occuper d’une adolescente… du moins pour l’instant. Je n’ai aucune raison de vous en vouloir.

Je ponctuai mes paroles d’un sourire franc et aussitôt je la vis se détendre.

- Sarah va bien ? S’enquit-elle.
- Sa nuit a été emplie de cauchemars, mais j’ai réussi à la rassurer assez pour qu’elle s’endorme.
- Sans hypnose, demanda-t-elle sceptique.
- Sans hypnose, confirmai-je en souriant.

Nos regards s’accrochèrent le temps de quelques secondes, il n’y avait plus besoin de mots, plus besoin d’excuses ou d’explications. Juste nos cœurs se dévoilant partiellement dans un simple regard. Gênée, elle détourna  les yeux et me demanda de préparer un chocolat pendant qu’elle réveillerait Sarah.

- Vous ne voulez pas qu’on inverse ?
- Et pourquoi je vous prie ? s’enquit-elle, surprise. Vous insinuez que je ne sais pas réveiller un enfant ? J’ai de l’entraînement avec vous !
- Justement, parlons-en de ces réveils… Ils sont la plupart du temps brutaux, d’ailleurs, j’ai souvent des bleus. Exagérai-je en me frottant l’épaule.

Elle secoua la tête tout en souriant, et s’assit sur le bord du canapé.

Je fis mine de sortir de l’open-space, et me positionnai à distance raisonnable afin de l’observer. Doucement, elle approcha sa main de l’épaule de Sarah et la secoua légèrement. Celle-ci se réveilla en sursaut appelant sa mère, puis, le regard perdu, elle fixa Lisbon. Cette dernière lui sourit, lui disant des mots que je n’entendis pas, et s’assit plus confortablement. Risquant de me faire repérer, je m’éloignai afin de préparer le petit déjeuner. Lisbon devait expliquer à Sarah la venue de l’assistante sociale, c’est pourquoi je pris mon temps, laissant une bonne dizaine de minutes s’écouler.

Je sortis de la cuisine avec la tasse et des biscuits, et compris immédiatement à mon arrivée que Lisbon ne lui avait rien dit. Sarah et elle discutaient, et je fus un instant figé sur place face au tableau qui se jouait devant moi. Une mère et sa fille. Je ne pouvais m’empêcher d’y voir cela. Sarah regardait Teresa avec admiration et l’écoutait d’une oreille attentive, ne semblant plus prendre conscience du lieu où elle se trouvait, ni ce qui l’y avait amené.

Je toussotai afin qu’elles me remarquent, et les deux femmes s’arrêtèrent pour me lancer un regard. Sarah semblait plus détendue, mais je sentais qu’elle faisait tout pour camoufler la douleur qu’elle éprouvait. Peut-être réussissait-elle à faire bonne figure face à Lisbon, mais cela ne m’échappait pas, et pour cause ! J’avais l’impression de voir en elle les mêmes sentiments que j’endossais depuis la disparition de ma famille.


POV de Sarah

La nuit avait été difficile, à chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais Maman se mettre devant moi pour me protéger, puis m’ordonner de courir me cacher afin d’échapper aux hommes masqués, mais surtout à lui, l’homme au couteau. J’avais déjà expliqué à l’agent Lisbon et Jane que je n’avais pas pu voir son visage, et que rien ne m’avait marquée à son sujet.

Je hurlais, je revoyais le couteau dans le corps de ma mère, le sang s’écoulant des plaies, son visage, son regard et son faible sourire avant de fermer les yeux… A chacun de mes réveils, Jane avait été là, me rassurant, me tendant un verre d’eau, ou m’étreignant afin de me calmer quand je pensais ne plus pouvoir respirer à cause des sanglots bloqués dans la gorge. Il était là, il veillait sur moi. Et, lors de mon dernier réveil j’avais compris que, malgré moi, malgré cette promesse faite à moi-même de ne plus m’attacher à quiconque, j’avais confiance en lui. Pour la première fois, je pouvais faire confiance à un homme.

Le soleil était à peine levé quand je sentis une main douce me toucher l’épaule. Maman. Peut-être était-ce un cauchemar ? Oui, sûrement ! Je criai « Maman ! » en ouvrant les yeux, toute heureuse à l’idée de la voir là, bien vivante, me sourire et me serrer dans ses bras avant de partir au travail. Mais au lieu de cela, je n’avais vu que l’agent Lisbon un peu gênée par mon appellation, et tout était revenu. La réalité était ce qu’elle était. Maman n’était plus. Plus jamais je ne verrais ses yeux briller de fierté, plus jamais je ne sentirais son étreinte, plus jamais elle ne me baiserait le front le soir avant de dormir bien que j’en eusse passé l’âge, plus jamais je ne sentirais son parfum. Les « plus jamais » venaient de remplacer, en l’espace d’un soir, les « toujours ».  

Quelques minutes passèrent pendant lesquelles l’agent Lisbon me parla de tout et de rien, de chansons, de séries télé, de tout ce qu’une ado de mon âge était censée aimer. Me laissant prendre au jeu, je l’écoutais me parler à son tour de ses goûts lorsqu’elle était adolescente, je me raccrochais à sa voix dans l’espoir d’oublier tout cela. Juste le temps de quelques minutes. Je me forçais à sourire, à participer avec enthousiasme à la conversation. J’ignorais si elle percevait que tout cela n’était qu’une feinte, mais je faisais de mon mieux. Elle était gentille, elle aussi semblait avoir souffert, et pourtant, elle était courageuse, ça se voyait dans le respect que son équipe avait pour elle. A l’observer, je savais pourtant qu’elle avait quelque chose à me dire, mais que ce n’était pas encore le moment. Allait-elle m’annoncer qu’elle ne disposait pas de preuves suffisantes pour empêcher mon beau-père de me reprendre ? Il n’était pas marié à maman, il n’avait donc aucun droit sur moi !

Jane arriva avec une tasse et un paquet de gâteaux qu’il me tendit avec un sourire sincère et affectueux auquel je répondis. Je savais à son regard qu’il avait compris ce que je tentais de cacher. Je lui fis une place en m’écartant de l’agent Lisbon, qui s’éloigna un peu à son tour afin de ne pas être trop proche de lui. J’avais remarqué leur alchimie, ils comptaient l’un sur l’autre, et il tenait à elle autant qu’elle à lui malgré leurs chamailleries. Maman enviait toujours mon sens de l’observation aiguisé. Elle riait souvent à ce sujet, disant que la police devait engager des gens de mon type. Mon avenir ne m’intéressait pas à l’époque, je vivais au jour le jour. Maman. Sans que je ne fasse attention, elle revenait dans mes pensées alors que je refoulais tous les souvenirs pour ne plus souffrir.

Je plongeais mon visage dans la tasse afin de cacher mon trouble, mais Jane et sa collègue n’étaient pas dupes. Je les vis échanger un regard du coin de l’œil, puis la femme brune prit la parole doucement.

- Tu sais, Sarah, tu n’as pas à avoir honte de penser à elle, au contraire.

Surprise, je levai la tête vers eux, et soupirai :

- Je n’ai pas honte de penser à elle. Les souvenirs font mal alors, j’essaie de les enfermer au fond de moi, vous voyez ce que je veux dire ? ajoutai-je d’une voix hésitante.

Nouveau regard entre elle et Jane.

- Je comprends, intervint Jane, mais il ne faut pas que tu les repousses, que tu les fuis. En agissant ainsi, tu finiras par te détruire. Tu dois vivre avec, t’y accrocher, car ce sont eux qui te permettront d’avancer tout en gardant le lien si privilégié qu’est celui d’une fille avec sa mère. Je sais à quel point c’est difficile, et tu agis de façon à te protéger, c’est ce qu’on appelle un réflexe d’auto-défense, mais celui-ci se transforme très vite en autodestruction.
- Je vois.

Je posai ma tasse sur le bureau de Grace, et repris ma place initiale. J’avais une question importante à leur poser, surtout à Jane.

- Vous croyez que je… je pourrai être de nouveau heureuse ?

Jane baissa la tête, triturant son annulaire gauche, et je remarquai son alliance. Lisbon suivit mon regard puis leva les yeux vers moi, dans un sourire triste.

- On n’oublie jamais ce qui nous est arrivé. Perdre des gens que nous aimons est la pire chose qui puisse se passer. J’aimerais te dire que oui, tu pourras être pleinement heureuse, tu pourras sourire comme avant, retrouver les moments d’insouciance et ne plus ressentir cette douleur innommable, mais ce n’est pas le cas.

Cette souffrance restera à jamais en toi, elle guérira, mais il restera toujours une marque qui te fera mal.

- Qu’est-ce qui vous fait tenir, alors ?

Le silence autour de nous se fit plus pesant. Elle jeta un regard bref à Jane qui semblait dans ses pensées, fixant un point invisible face à lui. Elle soupira, et je crus qu’elle ne répondrait jamais à ma question.

- Mon travail avant tout, déclara-t-elle enfin, mes amis, et… mes frères, ajouta-t-elle d’un air qui se voulait détaché.  

Jane ricana à cette évocation.

- Quoi ? Fit sa collègue d’un ton peu avenant.
- Lisbon, tout le monde sait que votre boulot est la seule chose qui vous fait tenir. Vous ne sortez avec l’équipe que rarement, et vous ne voyez presque jamais vos frères.

L’agent Lisbon lui lança un tel regard que je crus qu’elle allait l’étrangler, heureusement c’est ce moment-là que choisit Cho pour arriver, brisant par là-même la tournure que prenait la conversation.