Larmes du ciel, larmes du coeur ^

Fin des POV


Huit heures plus tard :


Lisbon était tournée sur le côté, en position fœtale.

« Lisbon ? » Jane s’approcha, fit le tour du lit et s’assit près d’elle, enlevant une mèche qui couvrait le visage de sa collègue. Celle-ci le regarda, les yeux baignés de larmes. Le mentaliste ne put s’empêcher d’en effacer une qui coulait.

- Le médecin vous l’a dit, n’est-ce pas ?

Il hocha la tête et ajouta :

- Il sortait quand je suis arrivé. Lisbon, je suis…
- Non, Jane ! Je ne veux pas de votre pitié. S’il vous plaît. Dit-elle en se redressant tout en se tenant le ventre.
- Si j’avais été plus rapide, Sarah et vous n’auriez pas eu à subir tout cela.
- Vous n’y pouvez rien, c’est ainsi que ça devait être, souffla-t-elle en grimaçant, cherchant une position convenable.
- J’aurais dû rester près de vous. Ils ne vous auraient pas séquestrées et vous ne seriez pas ici, nous n’aurions même pas cette discussion.
- Jane… murmura-t-elle en fermant les yeux, laissant une autre perle d’eau salée glisser.

Aussitôt le consultant se reprit et posa sa main sur celle de son amie.

- Pardonnez-moi Lisbon, je n’aurais pas dû dire ça.
- Ce n’est rien. De toute façon, à mon âge, avoir un enfant n’est pas vraiment conseillé. Maintenant, cela ne risquera pas d’arriver, soupira-t-elle fatalement.
- Vous croyez en Dieu, Lisbon ?
- Quoi ? demanda-t-elle surprise.
- Croyez-vous en Dieu ?
- Bien sûr, vous le savez, mais je…
- Alors, l’interrompit-il en lâchant sa main et ouvrant le tiroir de la table de nuit dont il sortit la croix de sa collègue, vous croyez aux miracles.

Il se rassit et la glissa dans la main de la jeune femme.

- Vous devez y croire Teresa. Je suis sûr que ce miracle est encore possible. Vous méritez de connaître le bonheur de la maternité.

Voyant qu’elle baissait la tête, il caressa de son pouce le dessus de sa main fermée sur le bijou.

- Andrew m’avait demandé le soir où nous avons trouvé Sarah si je voulais…
- Fonder une famille ? Termina Jane pour elle.

Elle acquiesça, laissant le silence reprendre sa place.

- J’ai refusé, disant que je n’étais pas prête, que nous pouvions attendre un peu, que nous ne nous connaissions pas assez. Mais à vrai dire, je… ce n’est pas que je ne l’aime pas, au contraire ! C’est juste que je ne l’aime pas comme il m’aime. Et, à présent, je n’ai pas le droit de lui imposer ça. Il mérite une femme avec un boulot stable qui ne risque pas sa vie chaque jour, une femme qui le privilégie à son travail, une femme qui puisse lui donner l’enfant qu’il désire. Je ne suis pas cette femme et je n’en suis même pas triste, Jane ! C’est horrible ! Je suis horrible ! Finit-elle en se couvrant le visage des mains.

Avant que Jane n’ait pu dire quoi que ce soit, une voix se fit entendre. « Non Teresa, tu n’es pas horrible, juste sincère. » La concernée et le mentaliste tournèrent la tête vers l’homme qui venait de prendre la parole.

Andrew.

- M. Jane, je suppose ?
- C’est ça. Je vais vous laisser, je serai dans le couloir, ajouta-t-il à l’intention de Lisbon.
Elle hocha la tête, pinçant les lèvres en le voyant fermer la porte et posa finalement son regard sur son petit ami.


POV de Lisbon

Je savais quelle serait l’issue de cette discussion, et bien que je me sentisse soulagée d’avance, je ne pus m’empêcher de ressentir de la culpabilité. Un homme tel que lui ne méritait pas ça. Il avait tout de l’homme parfait et moi, je ne trouvais rien de mieux que de rompre avec lui. Qu’est ce qui n’allait pas chez moi ?

« Teresa ? » sa voix me sortit de mes pensées. Il me sourit et s’assit sur la chaise qu’occupait Jane.

« Tu n’as pas à t’en vouloir. A vrai dire, je m’y attendais depuis notre premier rendez-vous. Tu n’es pas le genre de femme à vouloir une vie bien programmée, devenir mère au foyer et ne s’occuper que de ses enfants. Non, tu es une femme indépendante qui, dès le moindre appel du bureau, se précipite au devant du danger, tout cela pour venir en aide à des innocents. Je n’ai rien à te reprocher, tu es comme ça. Je vais te laisser. Repose-toi.

Il me déposa un baiser sur le front et s’éloigna.

- Au fait, Teresa, dit-il en se retournant. Ne perds jamais ce sourire que j’aime tant.
- Merci Andrew. Tu es un homme formidable. J’espère que tu trouveras ce que tu recherches.

Après un dernier signe de la tête à son encontre, il sortit et referma la porte sur une histoire à laquelle seul un d’entre eux croyait.


Délestée d’un poids sur le cœur, je m’allongeai, tournant de nouveau mon regard vers la fenêtre. Andrew n’était pas du genre à faire un esclandre lors d’une rupture, et heureusement pour moi. Je n’aurais pas été en état de le supporter. Et me voilà, de nouveau seule.

Retenant un soupir, je fermai les yeux et entendis la porte s’ouvrir. « Entrez, Jane » lançai-je en esquissant un sourire. Il s’avança et reprit sa place initiale.

- Ca va ? Demanda-t-il une ride d’inquiétude lui barrant le front.
- Ca va, soufflai-je dans un pauvre sourire. Comment va Sarah ? M’enquis-je.
- Elle est sortie de la salle d’examens. Elle se sent coupable de votre état.
- Elle n’y est pour rien.
- Je sais, j’ai beau le lui dire, elle semble aussi têtue qu’une certaine agent du CBI. Répliqua-t-il dans un sourire que je lui rendis.
- Elle est ici ?
- Oui, vous voulez la voir ?
- S’il vous plaît.

Il ouvrit la porte et fit signe à la silhouette que je devinais. Sarah s’avança timidement, le visage tourné vers Jane qui hocha la tête.

- Approche Sarah, dis-je alors en me redressant dans un sourire qui se voulait rassurant.
Elle fit quelques pas puis s’élança dans mes bras. Je retins un gémissement de douleur quand je soulevai mon bras.
- Je suis désolée Teresa. Je suis vraiment désolée, pardonne-moi, si j’avais été plus prudente…
- Tu n’y es pour rien. Il t’aurait eu de toute façon. J’aurais dû sentir qu’il nous suivait.
- Je suis tellement heureuse que tu sois en vie Teresa. J’ai tellement eu peur.
- Je sais. Moi aussi.

Nous nous étreignîmes en silence pendant quelques minutes, et décidai de lui demander quelque chose. Je savais que c’était rapide, et ce genre de choix ne me ressemblait pas du tout, mais cette balle venait de changer ma vie.

« Sarah ? » Elle releva la tête, le regard plein d’interrogations. « Tu accepterais de m’appeler non plus Teresa mais comme tu l’as fait lorsque je… » je ne pus en dire plus, les mots coincés par mes sanglots retenus.
- Tu veux dire que… ?
- Uniquement si tu le désires, répondis-je inquiète face à son visage insondable. Je comprendrais que tu ne veuilles pas, après tout, c’est trop tôt et…
- Non ! Non. Ce n’est pas trop tôt. Et oui, je veux bien t’appeler comme ça, ajouta-t-elle dans un sourire que je ne lui avais jamais vu.

Je la serrai un peu plus fort contre moi, laissant le silence reprendre sa place.

- Maman ? Souffla Sarah.
- Oui ?
- Et pour l’assistante sociale ?
- On arrangera ça. On trouvera une solution.

Elle se blottit un peu plus contre moi, pendant que je lui caressais les cheveux. Et là, une larme s’échappa, glissant le long de ma joue sans que Sarah n’en sache rien. Je reportai mon regard sur Jane qui nous observait, l’air absent. Mais quand il s’aperçut que je le regardais, il reprit contenance et me sourit franchement. Je notai qu’il avait lui aussi les larmes aux yeux, et songeai soudain que notre étreinte était peut-être source de souvenirs douloureux pour lui. M’écartant doucement de Sarah pour ne pas la froisser, j’entrepris de me caler à nouveau contre les oreillers, retenant une grimace de douleur… qui n’échappa pas à l’adolescente et à mon consultant.

- Maman ?
- Ca va, ce n’est rien. Juste un peu de fatigue.
- Viens Sarah, nous allons laisser Lisbon se reposer, nous reviendrons demain.

Après une dernière étreinte, elle s’éloigna, laissant la place à Jane.

- Ca ira ?
- Oui, ne vous en faites pas. Vous ramenez Sarah chez moi ?
- Non, Grace s’est proposé de l’accueillir.

J’acquiesçai, heureuse qu’elle ne restât pas seule.

- Vous êtes sûre de ne pas vouloir que je reste ? Insista-t-il.
- Reposez-vous, Jane, je sais que vous n’avez pas dormi ces deux dernières nuits. Et passer votre nuit à me veiller n’est pas le meilleur spectacle qui soit.
- Non, il n’est pas le meilleur, mais le plus agréable, murmura-t-il en souriant tout en se penchant, me déposant un baiser sur le front. Dormez bien, Lisbon, je serai là à votre réveil avec un vrai café et non ce jus de chaussettes servi à la cafétéria, reprit-il en riant.
- Bonne nuit Jane… et merci. Pour tout.
- Ne cessez pas de croire aux miracles Lisbon. Ce sont eux qui nous raccrochent à la vie.

Une fois qu’il eut refermé la porte, je soupirai, fixant ma croix, ne sachant si j’avais la force d’y croire en l’instant. J’étais si fatiguée émotionnellement et physiquement. Je devais reprendre des forces afin d’y voir plus clair.



POV de Jane

Lisbon ne semblait pas touchée par sa rupture avec Andrew. J’avais vu cet homme pour la première fois et je pouvais déjà affirmer qu’il était presque parfait. Le genre idéal que méritait Lisbon.

Après être sorti de la chambre, il s’était approché de moi.

- Je compte sur vous M. Jane pour la faire sourire et la rendre heureuse.

J’avais ri à cette phrase.

- Je suis loin d’être la personne qui rend Lisbon heureuse. Je ne lui attire que des ennuis et nous passons notre temps à nous chamailler.
- Je sais, mais Teresa tient à vous, et vous aussi. Il ne m’a pas fallu longtemps pour le deviner.

Un ange était passé sans qu’aucun de nous ne dise mot. Je n’avais pu affirmer ni infirmer cette déclaration, et Andrew l’avait remarqué. J’avais soutenu son regard, n’y décelant rien d’anormal ou de virulent. Oui. Cet homme était pourtant un être parfait pour Lisbon.

- Bien, avait-il finalement dit, je vais y aller. Prenez soin d’elle, M. Jane. Je compte sur vous. Avait-il ajouté en me tendant la main.
- Je ferai de mon mieux, avais-je promis en la serrant.

Je l’avais regardé s’éloigner, songeant à ce qui venait de se dérouler. Il m’avait fait promettre quelque chose, et non des moindres : prendre soin de Lisbon, faire de sa vie un bonheur éternel. De toute évidence, cet homme ignorait que faire le malheur de ceux qui m’étaient chers était plutôt ma triste spécialité.

Trois jours plus tard

POV de Jane


- Jane ?
- Hum ?
- Racontez-moi ce qui s’est passé.

Cela faisait trois jours que Lisbon était à l’hôpital, une journée qu’elle s’ennuyait, et ne tenait en place que grâce à la douleur de sa blessure. Elle avait refusé que Sarah et moi restions auprès d’elle, mais à force de persuasion, elle avait finalement accepté que nous nous relayions à ses côtés. Ainsi, je venais toute la journée, et Sarah restait le soir et la nuit.

- Jane ?

Je soupirai, marquai la page de mon livre, le posai sur la table de nuit, et me réinstallai dans le fauteuil― à ce sujet il me faudrait en toucher deux mots aux infirmiers : comment pouvaient-ils oser mettre des sièges aussi inconfortables à des patients et à leur famille ? !

- Vous êtes sûre d’être prête pour ça ?
- Je suis en vie, alors, je pense que oui, je suis prête. Cessez de vouloir me materner Jane, c’est agaçant.
- Bien. Alors voici ce qui s’est passé.


Flash-back

De retour au CBI, je montai directement au grenier. Je ne voulais voir personne, ni l’équipe, ni Andrew. Je savais que la première n’aurait que pitié et compassion, quant au deuxième… il pouvait très facilement me tenir pour responsable de l’enlèvement de sa petite amie. Non. Il valait mieux que je reste là, à enquêter sur cette histoire. Si je restais dans l’open-space, je savais que je ne pourrais me concentrer, m’attendant à voir Lisbon à chaque instant. Quelque chose clochait. Le beau-père de Sarah, bien que violent et alcoolique n’était sûrement pas le kidnappeur. Lisbon serait parvenue à se défendre, et au vu du compte en banque de ce cher M. Stuart, il n’aurait jamais pu payer des hommes de main pour faire le sale boulot à sa place. Il y avait forcément un détail que nous avions oublié. Sarah était la clé de tout. Il nous fallait donc nous concentrer sur elle, son passé, ses amis, ses connaissances…

Je me laissai choir sur mon lit de fortune, tourné vers la fenêtre, regardant au-dehors sans vraiment regarder. Les heures passaient, et je me sentais impuissant. Ce fut Cho qui vint me trouver en fin de soirée pour m’apporter les dernières informations. « On a eu le rapport d’analyses de sang. C’est celui de Lisbon. » Je soupirai, reprenant mon observation. Il pleuvait à verse, et j’espérais que Sarah et elle ne soient pas dessous.

- Il faut se concentrer sur Sarah, quelque chose me dit qu’elle est plus impliquée qu’on ne le pense.
- Tu ne crois tout de même pas que…
- Non, pas elle, mais quelqu’un de son entourage. Vous avez fouillé du côté de son père ?
- Oui. Il est enterré à une cinquantaine de kilomètres d’ici, dans un trou paumé. Van Pelt a remarqué que le chalet qu’il possédait comme résidence secondaire était inoccupé depuis des années. Il semblerait qu’Emma Johnson n’ait plus voulu s’y rendre après la mort de son mari.
- Et leur maison ? C’est celle où réside Stuart ?
- Non, visiblement Emma était propriétaire de la maison mais n’y a plus mis les pieds depuis la naissance de Sarah. Elle avait pris un petit appartement qui est aujourd’hui reloué.

Je tiquai à la réponse de Cho. Et si Sarah n’avait pas été enlevée ? Si elle avait réussi à prendre la fuite, où serait-elle allée ? De toute évidence, elle ne serait pas venue au CBI à pieds, trop loin et trop risqué.

- Cette maison, elle se trouve où par rapport à l’appartement de Lisbon ?
- A environ deux kilomètres, pourquoi ?

Je me levai brusquement, me retournai et lui expliquai ma théorie. Cho me fixa et, à la fin de mon hypothèse, secoua la tête.

« Jane elle aurait très bien pu prendre un taxi pour nous rejoindre. Quand bien même elle serait allée là-bas, elle aurait sûrement trouvé le moyen de nous avertir, non ? Et si vraiment les ravisseurs ne l’avaient pas, il y aurait une demande d’échange : Lisbon contre Sarah, tu ne crois pas ? »

Je penchai la tête sceptique. Cho avait toujours une bonne intuition et une logique imparable. Néanmoins, mon instinct me soufflait que Sarah se trouvait là-bas. Et peut-être même Lisbon. « Cho, je ne saurais te l’expliquer, mais je sais qu’elle est dans cette maison, et si Lisbon n’y est pas, Sarah pourra nous aider à la retrouver. Il faut que tu me fasses confiance. Pour elles. Pour elle. »

J’ignorais s’il avait compris la précision faite dans ma répétition de ces deux mots. J’ignorais si celle-ci était la cause de son revirement ou si cela tenait à mon air sincère, chose qui, je le reconnaissais, n’était pas fréquent chez moi.

« Rejoins-moi en bas, je m’occupe de Van Pelt et Rigsby », dit-il enfin. Esquissant un sourire, je m’apprêtais à le remercier « et garde ton merci si elles se trouvent là-bas. » Je le suivis quelques secondes plus tard, et pris place dans le SUV.

Le trajet me parut plus long que jamais. Au fil des kilomètres, un pressentiment s’instaura en moi. J’avais l’intuition qu’il nous fallait nous dépêcher, que quelque chose de dramatique était en train de se dérouler, mais était incapable de l’expliquer.

Garés à quelques mètres de la maison afin de ne pas éveiller les soupçons, chacun se munit d’un gilet pare-balle. « Jane, quoi qu’il arrive, tu restes derrière moi, c’est compris ? » intima Cho. J’acquiesçai, et marchai derrière lui. Devant la maison se trouvait un van blanc aux vitres teintées. A peine arrivés dans le jardin, le malaise s’accentua. Je repoussai cette angoisse et rejoignis Cho qui s’apprêtait à ouvrir la porte. A partir de là tout alla très vite. Le temps manquant pour prévenir les renforts et ne sachant combien ils étaient, Cho décida de jouer l’effet de surprise. Tout s’était déroulé dans le silence, du moins pour l’arrestation des deux hommes. Quant au troisième… une déflagration suivie du cri de Sarah nous avaient menés à l’étage juste à temps.

Fin du flashback.



POV de Lisbon

- Vous vous souvenez de ce qui s’est passé après le coup de feu ?

Il semblait inquiet, comme soucieux de ce que je pouvais ressentir. Il guettait le moindre geste de ma part, le moindre regard.

- Vaguement, fis-je dans un soupir las.
- Il ne faut pas vous forcer, intervint-il. Cela reviendra doucement.
- Comment ça va au CBI ?

Il eut un sourire et baissa la tête.

- Rigsby et Van Pelt se tournent de nouveau autour, quant à Cho pas grand-chose à dire. L’enquête est pratiquement bouclée et un test ADN a été fait. Cet homme, connu sous le nom de Gordon Mackenzie, était bien le père de Sarah.
- Si je comprends bien, il ne manque plus que mon rapport pour clore le dossier, fis-je en étouffant un bâillement ce qui fit relever la tête de mon consultant qui sourit.
- Exact. Puis il reprit son sérieux. Qu’allez-vous faire pour Sarah ?
- C’est… elle mérite d’être dans un foyer stable où la mère d’accueil ne risque pas de se faire tuer à chaque mission.
- Lisbon…
- Mais en même temps, je ne peux pas la laisser. Pas encore. C’est égoïste de ma part, je sais, mais elle a besoin de moi. Et j’ai besoin d’elle.
- Vous allez demander sa garde ?
- Ce sera long mais j’espère pouvoir devenir sa tutrice, oui.

Nouveau bâillement.

- Vous faites le bon choix. Maintenant, dormez, il faut vous reposer, ajouta-t-il en reprenant son livre.
- Bonne nuit Jane.

Je posai la tête sur l’oreiller et, avant de sombrer totalement, j’entendis la voix de Jane souffler « bonne nuit Teresa ».

POV de Lisbon


Une journée venait de s’écouler, une journée de plus. Sarah avait finalement accepté de me laisser seule toute l’après-midi. Elle avait décidé au bout de deux jours d’alterner avec Jane, celui-ci n’arrivant qu’en fin d’après-midi. « J’irai au lycée » m’avait-elle fait, et j’avais acquiescé, lui faisant un mot d’excuse pour ces jours d’absence.

Rester au lit n’était pas plaisant, et, après avoir tenté de lire et de suivre une série sans intérêt, je m’ennuyais ferme et ne tenais plus en place. Regardant l’heure, je notai que Jane n’arriverait pas avant une bonne heure.

Doucement, tentant d’étouffer un gémissement de douleur, je me levai, passai le peignoir que Sarah m’avait apporté, et sortis de la chambre. Une infirmière passait justement dans le couloir. Après avoir, à force de supplications, réussi à obtenir l’autorisation de me balader sans trop forcer, je m’éloignai en souriant.


POV de Jane

Savoir Lisbon seule à l’hôpital ne me rassurait pas. Depuis leur enlèvement, j’avais réalisé à quel point Lisbon me rendait faible.

« Arrête ! » fit soudain Grace alors que je me penchais pour la dixième fois en moins de deux heures pour regarder l’heure sur son pc. Haussant les épaules, je m’assis sur le canapé.

- Si tu allais la voir maintenant ? Suggéra-t-elle.
- Je ne peux pas, elle a dit à Sarah qu’elle en profiterait pour se reposer.
- Lisbon ? Se reposer ? Je te parie qu’elle tourne en rond comme toi, intervint Cho sans lever les yeux de son ordinateur. Alors rejoins-la.

Je jetai un œil à Rigsby qui acquiesça, à Grace qui fit de même, pris ma veste et sortis de la pièce.


Arrivé devant la chambre, j’entrai sans frapper (il ne fallait pas perdre ses vieilles habitudes et, à vrai dire, j’avais envie de l’entendre râler) et découvrit le lit vide. Inquiet, je toquai à la porte de la salle de bains. Pas de réponse. Je l’entrouvris et n’entendant aucun son, passai la tête dans la pièce. Personne. L’inquiétude laissant place à l’angoisse, je me précipitai dans le couloir cherchant Lisbon. « Votre amie est sortie, fit alors une infirmière dans un sourire rassurant. Elle voulait s’aérer un peu, je l’ai donc autorisée à se promener quelques instants dans l’hôpital. » Soufflant l’air que j’avais inconsciemment retenu, je la remerciai et commençai à arpenter les couloirs. Plusieurs minutes passèrent sans que je ne la trouve, puis j’eus une idée.



Elle était là, une main posée sur la vitre de la nursery, captivée par les nouveau-nés. Je reconnaissais la Lisbon qu’elle était. Pas une fois elle n’avait flanché devant Sarah ou moi ; nous assurant que tout allait bien. Pas une fois elle n’avait parlé de sa douleur. Le déni ? Peut-être. C’était une réaction typiquement lisbonienne, mais c’était sûrement plus que cela.

J’hésitai à l’interrompre dans sa contemplation. Il était évident qu’elle avait besoin de cela pour accepter et avancer. D’un autre côté, elle se faisait du mal, et cette douleur se trahissait par son dos légèrement voûté et le poing serré le long du corps. Je m’avançai lentement et m’arrêtai à quelques pas d’elle. Devinant ma présence, elle ôta sa main, me jeta un coup d’œil puis reprit son observation.

- Il est déjà 17 heures ?
- Vous voulez que je reparte, peut-être ? Répliquai-je souriant, bien que mon cœur se serrât à l’idée qu’elle réponde oui.
- Non. Restez. J’avais juste besoin de…
- Marcher un peu ?

Elle hocha la tête. Me mettant à ses côtés, je scrutai à mon tour les nourrissons.

- Vous croyez que cela peut vous aider ? C’est peut-être…
- Je n’en sais rien Jane. J’en avais juste marre de cette chambre, du psy qui me pose tout un tas de questions, j’avais besoin de voir autre chose. Voir des personnes qui n’auraient aucune pitié en me fixant. Et, eux, n’ont pour moi qu’un regard surpris, étonné voire curieux mais aucune compassion.
- Ils ne vous voient pas encore Lisbon, dis-je d’une voix douce au risque de la froisser. A leur âge, ils ne distinguent que le visage de leur mère lorsque celle-ci les allaite. Nous ne sommes tout au plus qu’une masse sombre pour eux.
- Peut-être mais ils ne jugent pas, ils en ignorent jusqu’à la signification de ce mot. Pour eux, les bras de leurs parents sont un havre de paix et de sécurité. Ils savent qu’ils ne craignent rien. Ils ont confiance en ceux qui les aiment, et quand ils accordent leur confiance, ils le font de tout leur cœur, de toute leur âme.

Je fixai son visage. Bien que de profil, je vis la tristesse à travers ses traits. Lisbon n’allait pas bien, elle tentait désespérément de s’accrocher aux branches en quête d’un soutien qui puisse lui éviter une chute dans cet abîme. Je ne pouvais effacer ce qui venait de se produire, mais je resterais présent à chaque instant afin qu’elle s’appuie sur moi et puise la force nécessaire pour franchir cet obstacle.

- Vous savez ce qui est le plus dur Jane ? C’est qu’il y a quelques jours encore je n’envisageais même pas être mère. Et, lorsque enfin je m’autorise à y réfléchir, à imaginer la possibilité de porter un enfant, le destin me l’enlève.
- Vous avez Sarah. Même si je trouve que vous appeler Maman était un peu prématuré.
- J’en avais besoin, Jane. Et, à vrai dire, je ne sais pas pourquoi je lui ai demandé ça. C’était… idiot.
- Non, pas idiot. Vous l’aimez, c’est réciproque. Vous avez subi un traumatisme, et vous voyez en elle un moyen d’avancer. Et c’est la même chose pour elle.
- Jamais je n’avais pensé avoir d’enfant, Jane. Et maintenant… c’est si douloureux !
- Je sais, soupirai-je en fixant l’un des nouveau-nés qui s’agitait.

De pénibles souvenirs refaisaient surface. Douloureux et si merveilleux à la fois. Charlotte dans son berceau, si petite, si fragile, son regard bleu aurait hypnotisé quiconque se serait risqué à y plonger. Et je l’avais fait, à peine quelques heures après sa naissance. Le plus beau cadeau d’une vie m’avait été offert, et jamais je n’aurais cru le perdre un jour.

- Non, vous ne savez pas.

Sa voix me fit sursauter. Son timbre était cassant, et je compris que le déni lisbonien laissait place à la colère que toute femme aurait ressentie dans ce genre de situation.

- Lisbon…
- Je sais Jane, cependant rien ne vous empêche d’avoir un autre enfant si vous le désirez alors que dans mon cas, les enfants qui auraient pu naître ont perdu la vie à travers cette balle, et j’en suis la seule responsable. Perdre un enfant est horrible, mais perdre des enfants que vous n’avez jamais vus l’est tout autant si ce n’est plus.

Je ne comprenais pas son raisonnement, elle semblait vouloir me mettre en colère également, et ma patience était mise à rude épreuve. Je savais que parler lui ferait du bien― elle n’avait rien dit au psy― mais ces mots étaient de vraies lames acérées qu’elle m’envoyait, touchant avec talent le point sensible.

- Ce n’est pas ma principale préoccupation pour l’instant et vous vous en doutez.
- Bien sûr que je le sais ! Red John ! Il n’y en a toujours eu que pour lui, et ce sera toujours ainsi ! Vous voulez que je vous dise, Jane ? Vous vous cachez derrière lui ! Vous avez peur. Peur d’être à nouveau heureux. Vous refusez de vivre dans le bonheur au risque que celui-ci ne se fracasse. Mais c’est la vie Jane ! Nous devons prendre des risques sans quoi nous ne vivons pas, nous survivons. Et c’est ce que vous faites depuis dix ans. Nous sommes et resterons toujours des pions à vos yeux.

Ces derniers mots tombèrent comme un couperet. Depuis deux jours je souhaitais la voir réagir, et elle venait de le faire. De la plus horrible des façons. M’accrochant à son regard, je m’attendais à y trouver de la colère, de la souffrance et une lueur de mensonge. Il y avait bien une trace de fureur, de tristesse mais ce qui me fit mal fut cet éclat de sincérité. Ainsi, Lisbon pensait réellement ce qu’elle venait de dire. Elle se trompait, même si au début ils n’avaient été qu’un moyen de me rapprocher de lui, ils étaient devenus plus que cela. Elle était devenue plus. Stupéfait, abattu, je ne trouvais les mots qui auraient pu la contredire. Peut-être parce qu’il n’y en avait pas.

- C’est réellement ce que vous pensez, affirmai-je plus que je ne l’interrogeai.

Elle parut comprendre enfin l’impact de ses mots, et ses traits durcis s’affaissèrent laissant place à la culpabilité.

- Jane, je…
- Laissez tomber Lisbon, la coupai-je froidement.

Elle chercha à capter mon regard mais je n’avais plus la force de soutenir le sien. Il fallait que je sorte de ce couloir, et vite.

- Je ne pourrai pas rester ce soir, mais si vous avez besoin je pense que Grace, Rigsby ou Cho répondront présent, ajoutai-je en lui tournant le dos et m’éloignant d’un pas rapide.

Elle ne me suivait pas, n’avait pas tenté de me retenir. Avec sa blessure, elle n’aurait pas pu de toute manière. Les choses venaient d’éclater et rien ne serait sûrement plus comme avant.

A peine dehors, j’inspirai profondément l’air vif et froid, espérant stopper les larmes de rage et de douleur qui semblaient vouloir couler. En quelques mots, Lisbon venait de briser les bases de notre amitié, et bien que ce fût la colère suite à son agression qui avait fait sortir cela, je ne pensais pouvoir lui pardonner si vite ces phrases qu’elle pensait au plus profond d’elle-même.

POV de Lisbon

3 jours plus tard

« Enfin » pensai-je en sortant de l’ascenseur. L’équipe m’avait manquée. Il m’avait manqué. Jane n’avait pas réapparu depuis notre altercation. Seule, j’avais eu le temps de réfléchir à mes mots et j’en étais venue à la conclusion que cette femme odieuse qui s’était exprimée n’était pas moi. Jamais Teresa Lisbon n’aurait pu dire cela. J’avais regretté son absence, mais ne pouvais l’en blâmer. J’avais été loin, trop loin peut-être, et j’espérais qu’il accepte de m’écouter.

Le médecin m’avait interdit de reprendre les activités sur le terrain, pendant au moins trois semaines, envisageant l’idée d’un congé, mais c’était au-dessus de mes forces. Il me fallait m’occuper l’esprit, et, après en avoir parlé au psy (eh oui, il avait bien fallu qu’il serve à quelque chose ! ), celui-ci avait donné son accord, à la condition que je me repose, ne force pas et me nourrisse correctement. De plus, j’allais devoir le consulter pendant une période minimale de six mois.

Prenant une grande inspiration, j’entrai dans l’open-space, et saluai mes équipiers. Il était là, allongé sur son canapé. Comme d’habitude. Et pourtant, rien n’était comme d’habitude. Soupirant intérieurement, je m’approchai.

- Jane ?
- Lisbon ? répondit-il d’un ton indifférent, gardant les paupières closes.
- Il faut qu’on parle.
- Plus tard, vous voyez bien que je dors.
- Non. Maintenant.

Aïe, ma voix avait été un peu dure devinai-je lorsqu’il ouvrit les yeux, haussant les sourcils. Il s’assit me jeta enfin un regard dépourvu de cette chaleur habituelle.

- Je vais me faire un thé. Déclara-t-il en se levant.

Immédiatement, je partis à sa suite, et, arrivée dans la cuisine, repris la parole.

- Jane il faut absolument que nous discutions.
- Je crois que vous avez été on ne peut plus claire, Lisbon. Par conséquent, je ne vois pas ce que nous pourrions nous dire de plus. A présent, si vous n’avez plus besoin de moi, j’aimerais déguster mon thé tranquillement.

Surprise par son ton sec, je cherchai un moyen de renouer le dialogue mais quand je vis qu’il me tournait résolument le dos, j’abandonnai. Pour cette fois. Notre amitié ne pouvait pâtir de ces phrases exprimées sous la douleur et l’envie de détruire. Parce que ce n’était rien d’autre que de la destruction. Je souffrais, et pour « évacuer » j’avais voulu faire souffrir Jane. Eloigner ceux qui m’étaient chers était, d’après le psy, une réaction normale. Je venais de perdre une partie de moi-même et de ce fait, me sentais inférieure et indigne de leur amitié.


Trois jours s’écoulèrent. Je n’arrivais toujours pas à parler à Jane qui m’évitait. Parfois, je pouvais sentir son regard, mais dès que je tournais la tête, il détournait la sienne. Cette situation ne pouvait durer, d’autant plus que les cauchemars emplissaient mes nuits. Je résistais aussi longtemps que possible au sommeil, m’accordant tout de même un peu de repos. Les mauvais rêves ne me laissaient à peine une heure de réel sommeil, je me réveillais en nage et tremblante, le souffle coupé, la douleur dans le ventre resurgissant de telle manière que je retenais les gémissements. Sarah était venue me trouver la première nuit afin de me rassurer. Je lui avais dit de retourner dans sa chambre, que tout allait bien. Mensonge. Elle s’en doutait, je l’avais perçu dans son regard, mais je ne voulais pas paraître faible face à elle. C’était à moi de la consoler lors de ses cauchemars, non l’inverse. Elle n’était pas revenue, respectant ma demande. Hormis ce point-là, elle et moi nous entendions à merveille et une routine s’installait déjà. Nos habitudes avaient été bousculées, ce qui n’était pas pour me déplaire. J’avais obtenu l’accord de la garder jusqu’à ce que le juge décide si j’étais apte ou non à devenir sa tutrice.

L’enterrement de sa mère s’était déroulé le lendemain de ma sortie. Cela avait été difficile pour elle. Se tenant droite entre Jane et moi, elle avait pleuré en silence, restant digne malgré la douleur. Durant toute la célébration, elle avait gardé nos mains serrées, une façon pour elle de se rassurer, et une manière pour nous de lui prouver que nous serions toujours à ses côtés. J’avais à de nombreuses reprises jeté un regard à Jane. Je savais qu’il n’était pas vraiment présent, qu’il ne voyait pas l’enterrement d’une inconnue, mais celui de sa femme et de sa fille. Il souffrait, et je ne pouvais rien faire. Il avait tenu à venir. Pour Sarah.
Elle était désormais le seul lien entre nous.

POV de Sarah

J’étais heureuse que Maman soit rentrée. Elle semblait elle aussi soulagée d’être à la maison. Bien que je dusse passer mes journées au lycée, je savais que quelque chose n’allait pas. Une sorte de malaise s’était instauré. Etait-ce à cause des cauchemars ? Sans doute. A cause de Jane ? Sûrement. Le premier soir, je lui avais demandé pourquoi Jane ne l’avait pas ramené. Son visage s’était fermé, elle avait lancé une vague explication et avait directement changé de sujet. Et les cauchemars avaient commencé. Cette nuit encore elle avait crié. Je n’avais pas bougé, sachant qu’elle voulait être seule. Je sus alors ce que je devais faire.

Après les cours, je me rendis au CBI. Il fallait que je me rende compte par moi-même de la situation. Entrant dans l’open-space, je vis Grace, Rigsby et Cho, chacun à son bureau.

- Bonjour, fis-je timidement.
- Sarah ! S’exclama Grace qui vint tout de suite m’étreindre tandis que les deux hommes me saluaient de manière moins démonstrative.
- Comment vas-tu ?
- Ca va, les cours sont un peu barbants, mais je suis habituée ! Dis-moi tu as vu Jane ? M’enquis-je en jetant un œil vers le canapé vide.

Grace se tourna vers Rigsby qui toussota, mal à l’aise.

- Il est au grenier. Il évite Lisbon.
- Grace, ça ne nous regarde pas, intervint Choo sans lever les yeux de son ordinateur.
- Tu crois que je peux aller le voir ? C’est important, l’implorai-je.

Elle regarda tour à tour Rigsby et Cho qui, tous deux, hochèrent la tête. Elle sourit, visiblement soulagée, et m’indiqua comment me rendre à l’antre de Jane.


Arrivée devant la porte, j’hésitai. Si Jane et Maman étaient vraiment en froid, peut-être que Jane ne voulait plus me voir. Chassant cette pensée, je fis glisser la porte qui n’était heureusement pas fermée, et entrai. Mon acte était impoli, mais je ne voulais prendre le risque qu’il me laisse à la porte.

Allongé sur ce qui lui servait de lit, il semblait dormir, les mains jointes sur le ventre. Retenant un soupir, je m’apprêtai à faire demi-tour quand…

- Que veux-tu Sarah ?

Surprise je me retournai. Les yeux grands ouverts, la tête tournée vers moi, il semblait étonné par ma présence.
- Comment as-tu su… ?

Il sourit, s’assit et se passa une main dans les cheveux afin de les discipliner.

- Personne ne vient ici sauf Lisbon, et je n’ai pas reconnu son pas. Sachant que Grace, Rigsby et Cho ne se seraient jamais permis de venir, ça ne pouvait être que toi.

Je répondis à son sourire du mieux que je pus, mais sus à son regard qu’il ne me fallait pas tourner autour du pot pour obtenir ce que j’attendais de lui.

- En parlant de Lisbon, elle a besoin de toi.

Aussitôt son visage se ferma.

- Je ne crois pas, fit-il en se levant et se dirigeant vers la fenêtre.
- Tu te trompes, elle ne le dit pas mais elle a peur et seul toi peux l’aider.
- De quoi pourrait-elle avoir peur si ce n’est de moi ?

Je le fixai, interdite.

- C’est vrai, continua-t-il, chacun de mes plans la mène à un danger : soit son insigne est mise en jeu, soit la vie manque de lui être retirée. Elle n’a pas besoin de moi. Elle n’est qu’un pion dans la chasse de l’assassin de ma famille.
- Tu mens, répondis-je avec hargne.

Non, Jane ne pouvait pas voir en elle un simple instrument. Pas après ce que j’avais pu voir dans l’ambulance.

- Bien sûr que c’est un mensonge, mais Lisbon le pense, elle. Elle me l’a dit sans ciller. Seule ta présence lui est nécessaire dorénavant.
- C’est faux Jane. Je le répète, elle a besoin de toi. Elle… ce qui s’est passé l’a remué plus que tu ne le crois. Je sais que tu es celui qui lui permet d’être détendue et aujourd’hui, elle ne peut l’être sans ton aide. Tu l’as peut-être remarqué, elle ne dort pas bien. C’est à peine si elle dort une heure. Jane, je t’en prie. Voilà ce que je te propose : ce soir, je fais à dîner, joins-toi à nous. Je m’occupe de Maman, fis-je en l’empêchant ainsi de contrer mon idée. On se voit à 20 heures, ajoutai-je en sortant.

J'espérais que Sarah servirait d'entremetteuse à nos deux âmes esseulées...elle a en tout cas tout d'une Jane : elle a bien compris que le meilleur moyen d'obtenir ce qu'elle voulait des gens était de ne pas le leur demander, mais de le prendre ! Voilà donc Jane piégé, invité à un dîner chez Lisbon.

Ainsi, c'est donc bien le fait que Lisbon puisse se sentir utilisée par lui comme un pion qui l'atteint tant....c'est en tout cas ce qu'il semble retenir de leur dispute. Et ça se comprend, dans le fond : c'est une remise en cause directe du lien privilégié qui les unit. Qui lui évite, justement, de devoir l'examiner de trop près (à un moment où elle n'a plus l'excuse d'être en couple pour ne pas le faire). Mais Jane devrait savoir mieux que ça et voir la peur de Lisbon derrière ce mécanisme de défense....voir aussi comment son propre comportement peut nourrir les insécurités de Lisbon.

Jane pourra-t-il rester en colère maintenant qu'il sait que Lisbon est profondément affectée par les derniers événements ? Peut-il rester indifférent à la détresse de son amie ? J'espère vraiment que non...la visite de Sarah devrait le faire réfléchir jusqu'à l'heure du dîner...J'espère surtout qu'il parviendra à percer les défenses de Lisbon, qui, effrayée et épuisée, pourrait lui en vouloir d'avoir rejetée les pas qu'elle a faits vers lui....

Vivement demain !

POV de Jane

Cette petite n’a pas froid aux yeux, pensai-je juste après son départ. Elle risquait de s’attirer les foudres de Lisbon tout ça pour qu’elle puisse aller mieux. Encore fallait-il qu’elle reconnaisse qu’elle allait mal, ce qui ne serait pas une mince affaire.

Les mots de Lisbon résonnaient encore en moi, pourtant, la voir chaque jour dépérir un peu plus et tenter en vain de le masquer avait peu à peu estompé ma rancœur à ce sujet. La souffrance, la colère et l’injustice du sort peuvent parfois nous amener à dire et à croire penser des choses qui ne sont qu’écran de fumée. Tout cela pour parvenir à oublier, à occuper le temps d’un instant son cerveau à un autre problème. Cela avait au moins eu le mérite de la faire exploser et de m’amener à m’interroger sur ce que je devais faire à présent.

20 heures moins une minute. Je soufflai un bon coup et frappai à la porte de son appartement. Cette soirée pouvait être un nouveau départ, aussi ne devais-je pas tout gâcher.

- Jane ? S’étonna Lisbon en ouvrant. Qu’est-ce que vous faites là ?
- Je l’ai invité pour le remercier, lança Sarah depuis la cuisine avant même que je n’ouvre la bouche. Je voulais t’en parler mais je n’ai pas eu le temps.

Elle me jaugea, hésitant quant à la marche à suivre.

- Je vous ai apporté un cadeau, dis-je timidement.
- Ah oui ?

Je souris, devinant que sa curiosité était piquée. C’était une façon bien à moi de briser un peu la glace, et, à son sourire et son air intrigué, je compris qu’elle ne me laisserait pas sur le pas de la porte. Et, effectivement, quelques secondes plus tard, elle me fit signe d’entrer. « Donnez-moi votre veste » fit-elle d’un ton égal. Je la lui tendis en souriant et déposai aussi dans ses mains un sac en papier. Elle m’interrogea du regard, mourant d’envie de l’ouvrir, mais gardant tout de même sa position initiale. Je me doutais que ce présent n’arrangerait pas tout, mais il nous mettait sur la bonne voie. « Allez-y, ouvrez-le ! Je vous rassure, ça ne mord pas ! » Elle esquissa un fin sourire, déposa mon vêtement, et déballa le cadeau.

- Une peluche ?
- Exact ma chère Lisbon. Je me suis dit qu’elle vous plairait, même si c’est un peu enfantin de ma part. Je n’ai pas su résister à son regard suppliant, ajoutai-je en m’approchant pour caresser la tête du jouet.

Elle esquissa un sourire un peu plus franc, l’observa quelques instants.

- C’est vrai qu’il a des yeux tristes. Mais… pourquoi un chat ? Ce n’est pourtant pas mon animal préféré.
- Je sais. J’ai choisi le chat parce qu’il m’a fait penser à vous. Il a un caractère fort, il est combatif, ne lâche jamais. Pourtant, derrière cet air sûr de lui, il n’en reste pas moi un être fragile et sensible.

Je me penchai un peu plus afin de fixer de nouveau les yeux de l’animal quand elle releva la tête. Proche. Beaucoup trop proche, notai-je. A cette distance je pouvais remarquer ses taches de rousseur sur le nez, ses yeux avaient cet éclat qui leur avait manqué toute la semaine. Cette lueur bien à la Lisbon que je connaissais. Ancrant son regard au mien, elle m’offrit un sourire, un vrai, le premier depuis l’accident.

- Merci Jane, pour ce cadeau pour le moins… original, souffla-t-elle enfin dans un petit rire. Mais ne croyez pas pouvoir m’acheter ! Reprit-elle en se dirigeant vers la cuisine.
- Je m’en doute bien, murmurai-je à mon tour, un sourire aux lèvres.

C’était un premier pas, un premier obstacle de franchi, et Lisbon ne m’avait pas mis à la porte. Tout n’était pas totalement perdu.


Le repas se passa plutôt bien, Sarah mettant tout en œuvre pour dérider Lisbon et l’amener à me parler. Celle-ci avait de toute évidence deviné ce qui se passait, bien qu’elle ne soit pas au courant de tout. Nous n’avions pas abordé le sujet de notre dispute, ce n’était pas le lieu, ni le moment.

« Bon, je vous laisse j’ai encore pas mal de devoirs », déclara Sarah à la fin du repas.

Lisbon et moi nous jetâmes un coup d’œil, peu dupes.

- Je descendrai avant que tu ne partes, ajouta-t-elle.
- J’y compte bien ! Rétorquai-je en souriant.

Après le départ de Sarah, l’ambiance s’alourdit considérablement. J’aidai Lisbon à faire la vaisselle dans un silence pesant. De temps à autre, nous nous jetions des regards, se demandant qui prendrait la parole en premier. Habituellement, j’étais doué pour détendre l’atmosphère, mais ce soir-là, je voulais éviter une nouvelle querelle.

- Vous voulez un thé ? Proposa-t-elle une fois la dernière assiette rangée.
- Avec plaisir.

Assis l’un à côté de l’autre sur le canapé, nous sirotions notre boisson respective dans le calme quand...

- Je dois dire que vous avez bien joué, fit-elle en posant sa tasse sur la table basse.
- Pardon ?
- Allons Jane, vous n’allez pas me faire croire que Sarah a monté ce plan toute seule ! Honnêtement, je n’aime pas l’idée que vous vous serviez d’une ado fragile pour essayer de vous faire pardonner.
- Quoi ? Mais ce n’est pas du tout ça Lisbon ! Je vous jure que….
- Vous n’y êtes pour rien, je sais ! Vous me sortez ça à chaque fois.
- Lisbon…
- Je pense qu’il vaut mieux que vous partiez, Jane. Nous devons parler, mettre les choses au clair mais ce soir je ne suis pas d’humeur. S’il vous plaît.

J’aurais aimé rétorquer, mais la supplique dans sa voix me fit réaliser à quel point elle semblait épuisée. Elle ne méritait pas que je m’acharne un peu plus, elle devait se reposer.

- Très bien, soupirai-je en me levant. Mais je vous jure que je n’y suis pour rien. Bonne nuit Lisbon, ajoutai-je en lui baisant le front, la laissant assise, surprise.

A peine sorti, je reçus un sms. Sarah. En le parcourant, je ne pus m’empêcher de sourire, et de me retourner vers la fenêtre que je devinais être celle de sa chambre. Elle se tenait là, un fin sourire, ses yeux me priant de l’aider. Avant même que je ne songe à faire quoi que ce soit, j’avais hoché la tête. Non, je ne laisserais pas Lisbon tomber.


POV de Sarah

Je savais qu’ils avaient compris que les devoirs n’étaient qu’une diversion, mais il fallait qu’ils soient seuls pour parler. Ma présence n’aurait fait que les gêner. Installée dans le haut des marches, j’avais écouté attentivement leur échange, tentée d’intervenir lorsque Maman avait injustement accusé Jane de se servir de moi pour l’atteindre. La porte s’était refermée sur Jane, doucement. Je savais qu’il n’abandonnerait pas, il voulait lui laisser du temps, et du repos surtout. Pourtant, je savais que cette nuit, cela recommencerait, et il devait être là. Pour elle. Me postant à la fenêtre, je saisis le nouveau portable que m’avait acheté Teresa avant notre enlèvement, et envoyai un message à Jane.

Inutile qu’il réponde, son regard parlait pour lui. Il s’était retourné après sa lecture, m’avait fixé et hoché la tête, promesse muette qu’il resterait dans le coin, juste au cas où. Puis il monta dans sa voiture, et s’éloigna. Je restai longtemps à fixer le bout de la rue, là où il avait disparu, quand la sonnerie de mon téléphone retentit.

Je suis dans la rue d’à côté. N’hésite pas à me joindre si ça ne va pas. J.

Esquissant un sourire, je lui répondis :

Elle vient de se coucher. Merci. S.


Le temps passa. Une heure plus tard, j’étais assise sur mon lit, toujours à guetter le moindre bruit venant de la chambre de Teresa. J’imaginais Jane, attendant patiemment dans son « cercueil ambulant » comme m’avait dit Maman. Peut-être même était-il en train de s’adonner à une petite sieste. J’étouffai un rire en l’imaginant dormir, la tête affalée contre la vitre, et un filet de bave s’échappant de sa bouche ouverte.

Peu à peu, je sentis le sommeil venir, et fermai les yeux, juste quelques minutes, quand j’entendis quelque chose. Immédiatement, j’envoyai un texto à Jane, et sortis de la chambre, restant debout dans le couloir, patientant jusqu’à son arrivée.