Larmes du ciel, larmes du coeur ^

POV de Sarah

Lorsque Teresa m’avait réveillée ce matin, je n’avais pas eu l’envie de me lever. J’avais honte d’avoir agi ainsi, mais je lui en voulais aussi. J’avais cru qu’elle aurait aimé passer une soirée avec moi après qu’elle ait implicitement refusé la compagnie de Jane. J’avais eu tort. En voyant cet homme, j’avais compris qu’il n’était pas « dangereux » mais c’était plus fort que moi. Quand Teresa était venue me retrouver, j’avais eu envie, l’espace d’un instant, de lui demander de me ramener au CBI. Là, je savais que Jane aurait été heureux de m’accueillir, et je n’aurais pas eu l’impression de me sentir de trop. Mais je m’étais tue. Teresa aurait eu du mal à comprendre, et je ne pouvais pas lui faire ça alors qu’elle m’avait empêché d’aller en foyer.

Je m’étais finalement levée, avais préparé le petit déjeuner, et étais allée me laver après Lisbon. J’évitais de la croiser, non par peur mais par honte pour mon comportement. Elle semblait heureuse avec cet homme, qui étais-je pour juger ? Personne. Je n’étais personne. Simplement une victime sous la protection de la grande Teresa Lisbon, une victime qui, une fois l’affaire terminée, n’existerait plus.

Après ma douche, je rejoignis Teresa et remarquai avec tristesse que l’assiette de tartines que j’avais préparée était toujours sur la table. Elle n’y avait pas touché. Je n’avais pas eu le temps d’aborder le sujet qu’elle me pressait à sortir, de peur qu’elle soit en retard. Sans un mot, je montai dans le SUV.

A présent nous étions l’une à côté de l’autre. Le regard tourné vers la vitre, je ne cessais de penser à cette soirée. Je lui devais des excuses mais je ne savais comment m’y prendre. Triturant nerveusement la bague qui ornait mon doigt – dernier cadeau d’anniversaire de ma mère- je cherchais les bons mots. Enfin, je pris une grande inspiration, et me lançai.

- Teresa ?
- Oui ?
- Je voulais te dire que… je…

La sonnerie du téléphone m’interrompit, elle me jeta un coup d’œil d’excuse et décrocha. Elle parla quelques secondes avec Cho, puis coupa la communication.

- Tu disais ?
- Euh, non, ce n’est rien.

Ce n’était plus le moment pour ça.

Jane. Lui seul pourrait m’aider à trouver l’instant idéal pour lui présenter mes excuses, si tant est qu’il pouvait y avoir un instant idéal pour ça.

A peine arrivées au CBI, Lisbon salua tout le monde, et se rendit dans son bureau. Jane allongé sur le divan avait les bras croisés derrière la tête, les yeux fermés et un mince sourire aux lèvres.

- Jane ? m’enquis-je en m’asseyant sur l’accoudoir près de sa tête.
- Hum ? fit-il, les yeux toujours clos.
- Arrête de faire semblant de dormir, j’ai besoin de toi.

Il ne bougea pas pendant quelques secondes, puis s’assit en me souriant.

- Que puis-je faire pour mademoiselle ?
- Je dois présenter mes excuses à Teresa pour hier soir, déclarai-je en baissant la tête.
- Andrew ?
- Andrew. J’ai ouvert la porte, je pensais que tu avais changé d’avis. Je n’ai pas été très sympa avec lui et Teresa m’en a voulu.
- Ce qu’il y a de bien avec Lisbon, c’est qu’elle n’est pas rancunière. Qu’entends-tu exactement par « pas très sympa » ?

Je lui racontai tout, dans le moindre détail, mais évitai la partie du « tu l’aimes ? », il aurait sûrement donné raison à Lisbon.

- Je suis désolée de te dire ça, mais elle a raison. Sa vie privée ne regarde qu’elle. Lisbon mérite d’être heureuse, et Andrew semble la satisfaire.
- Mais il n’est pas toi, soufflai-je.
- Non, et heureusement ! Sinon Lisbon serait accusée de meurtre !
- Qui serait accusé de meurtre ? Fit soudain celle-ci.
- Personne ! Répondit-on en chœur.

Nous nous regardâmes avec un sourire, complices, alors que Teresa secouait la tête.

- J’ai demandé à Van Pelt d’éplucher les dossiers de ton voisinage, Sarah, mais rien de probant. Sans aucun indice supplémentaire, je crains que nous ne puissions avancer aujourd’hui.

Le reste de la journée passa assez vite, Jane avait proposé à Teresa de venir déjeuner avec nous, et, avec mon intervention et le regard de cocker de Jane, elle avait soupiré, levé les yeux au ciel, fermé son dossier et nous avait accompagnés. Jane était placé face à elle, et moi au bout de la table. Il nous avait fait rire, mais à observer Lisbon, la vérité me sautait aux yeux : là, à ce moment précis, elle était heureuse. Esquissant un sourire, je compris qu’il fallait que je fasse en sorte que Jane et elle se rapprochent avant mon départ, sans pour autant intervenir dans son histoire avec Andrew.


De retour à l’appartement en fin de soirée après avoir fait quelques magasins, je me dirigeai vers la cuisine et entrepris de préparer le dîner, le temps que Teresa range nos achats et prenne sa douche. Nous venions de passer une fin d’après-midi des plus agréables, jamais je ne m’étais sentie importante. Teresa me demandait son avis sur tel ou tel vêtement, et m’avait même acheté un manteau en prévision de l’automne. Je n’avais rien dit, mais ce geste bien qu’extrêmement gentil me rappela que je n’étais chez elle que pour une durée indéterminée.

En dehors du bureau, elle semblait beaucoup plus détendue, et à la voir marcher dans la rue, jamais personne n’aurait pu croire qu’elle faisait partie de la police. Pourtant, je la voyais de temps à autre jeter un coup d’œil autour de nous, s’assurant qu’il n’y avait pas d’élément suspect.

Souriant en repensant à ces instants de complicité, je retournai à mon occupation première. Je me doutais qu’Andrew viendrait, je mis donc le couvert pour trois personnes. « Pourquoi trois couverts ? » S’enquit soudain Lisbon, me faisant sursauter. Elle s’était approchée sans que je ne l’entende. Je me retournai, baissant la tête comme une enfant prise en faute.

« Je… je pensais qu’Andrew viendrait, et, après ce que j’ai fait hier je voulais me faire pardonner » dis-je d’une petite voix. Teresa ne dit rien, mais je pouvais sentir son regard sur moi. Je n’osais relever la tête de peur de ce que je pourrais voir sur son visage.


POV de Lisbon

Attendrie et touchée par le geste de Sarah, je restai stupéfaite un instant. Bien sûr son attitude de la veille m’avait profondément déçue, mais j’avais eu le temps d’y réfléchir et avais compris qu’elle essayait juste de trouver sa place. Souriant, j’esquissai un geste pour toucher ses cheveux, laissai tomber la main, hésitante. Je n’avais jamais été douée dans les démonstrations d’affection, et ce moment ne faisait pas exception. Quoi qu’il en soit, je devais faire ou dire quelque chose. Et vite avant qu’elle ne se méprenne sur mon silence. « Andrew ne viendra pas ce soir », dis-je doucement.

Elle releva la tête, surprise et me regarda, inquiète.

- Tu n’y es pour rien, j’ai pensé qu’on pouvait reprendre notre soirée là où elle s’était arrêtée hier. J’ai donc demandé à Andrew de nous laisser toutes les deux.
- Mais… il… il ne m’en veut pas ?
- Pourquoi ? C’est vrai que tu ne l’as pas épargné, mais il est beaucoup plus compréhensif que moi, et beaucoup moins impulsif aussi.
- Tu m’en veux encore ?

Je pris quelques secondes de réflexion. A la vérité, je ne lui en voulais plus depuis mon réveil, mais j’avais envie de la taquiner. La voir angoisser à l’attente de ma réponse me fit sourire intérieurement et ressentir une pointe de culpabilité.

- Non, bien sûr que non.

Je lui souris, sourire qu’elle me rendit, puis je regardai la table qu’elle venait de dresser. « Un plateau devant la télé, ça te dit ? » elle acquiesça et rangea l’assiette en trop.

Nous étions à peine assises qu’un coup de sonnette retentit.

- Allons bon, qui cela peut-il être, marmonnai-je.
- C’est peut-être Jane qui a accepté mon offre d’hier, tenta-t-elle.
- Ca ne m’étonnerait pas, mais qui que ce soit, il ne nous dérangera pas longtemps, fis-je en me dirigeant vers l’entrée, l’arme à la main.

Elle écarquilla les yeux à mes paroles, et je ne pus m’empêcher de rire.

- Rassure-toi, je ne vais pas lui tirer dessus ! Il y a longtemps que son corps serait criblé de balles si c’était le cas !
Je regardai par le judas : personne. Jetant un rapide coup d’œil à Sarah qui haussa les épaules, j’enlevai la chaîne de sécurité, et ouvris la porte, sur le qui-vive, l’arme tendue, sans pour autant sortir de l’appartement. Personne.

« Sûrement des petits plaisantins » dis-je tout en repoussant la porte du pied et faisant face à mon invitée.
« Teresa attention ! » surprise je fis volte-face, mais ne pus éviter un coup sur mon poignet, coup qui me désarma. Sans perdre un instant, je me mis en position de combat, tentant de repousser l’intrus hors de l’entrée. S’ensuivit alors un échange de coups. J’avais pour moi l’agilité et la rapidité, mais l’inconnu cagoulé était lui aussi bien entraîné et plus fort qu’il ne laissait paraitre. J’esquivai quelques coups, m’en pris, en donnai, et ce pendant de longues minutes. Je devinai un mouvement dans mon dos, Sarah avait dû se lever, et je compris que je ne risquais rien contrairement à elle. « Sarah, lançai-je alors que l’homme tentait de m’atteindre avec sa matraque, sauve-toi ! Cours ! » Je reculai, amenant ainsi l’homme à s’avancer et à libérer de ce fait le passage pour Sarah, et la vis sortir en courant.

Je soufflai, sentant mes côtes douloureuses après un des coups de matraques reçus, mais néanmoins soulagée d’avoir réussi à protéger Sarah. Mon enthousiasme fut cependant de courte durée lorsque des cris me parvinrent : « Lâchez-moi ! Non ! Teresa ! » L’entente de mon prénom me déstabilisa quelques millièmes de secondes, ce dont l’homme profita pour m’asséner un violent coup au niveau de la tempe. Je sombrai dans les ténèbres tandis que me parvenait encore le cri déchirant de Sarah « Teresa ! »

POV de Jane

Lisbon et Sarah étaient parties relativement tôt du bureau. Je ne me souvenais pas à quand remontait la dernière fois où j’avais vu Lisbon si détendue, si souriante. Elle riait même aux bêtises de Sarah. Je souriais moi aussi en les entendant, et tentait d’enfouir cette douleur qui se rappelait à moi. J’en venais à penser que j’aurais aimé partager leur joie, leur discussion, juste profiter de ces instants de bonheur que je m’étais depuis trop longtemps interdit.

Sarah m’avait expliqué qu’elles allaient faire quelques boutiques. J’avais été assez réservé quant à cette idée, et avais été trouver Lisbon dans son bureau afin d’évoquer ce sujet. « Je sais ce à quoi vous pensez, Jane, m’avait-elle dit avant que je n’ouvre la bouche, je sais que ça comporte des risques, mais je la suivrai comme mon ombre. » Mon scepticisme avait dû être flagrant car elle s’était dirigée vers la vitre, et avait écarté deux lattes du store. « Regardez-la, avait-elle dit, m’invitant à me rapprocher, en fixant Sarah qui semblait jouer sur l’ordinateur de Grace, en deux jours Sarah semble avoir repris le dessus. Je sais qu’elle reste fragile, qu’il faudra bien plus que de simples subterfuges pour qu’elle puisse supporter la douleur qui l’habite, mais si je peux lui apporter un peu de joie même momentanément, alors je le ferai. » J’avais laissé mon regard glisser sur son profil. J’admirais encore une fois ce côté altruiste, cette façon de se faire passer après les autres.

Une évidence m’avait frappé. Lisbon ferait une mère exceptionnelle. Je n’en avais jamais douté, et son comportement me confortait dans l’idée qu’elle était faite pour ça. En m’attardant sur ses traits, j’avais cependant noté l’ombre de la tristesse. Je savais ce qui se passait, mais elle ne l’aurait jamais avoué. « Vous avez bien fait en mentant à cette femme de l’assistance » avais-je dit en posant la main sur son épaule, l’arrachant de sa contemplation. Elle s’était tournée vers moi son regard ancré au mien, et avait souri tristement.

- Ce n’est que repousser l’inévitable, et vous le savez, avait-elle dit d’un ton fataliste.
- Sarah aura eu grâce à vous une parenthèse heureuse au milieu de ce drame, et, croyez-moi, il n’y a rien de plus important que cela en de telles circonstances, avais-je lancé, raffermissant ma prise sur son épaule.

Elle avait esquissé un autre sourire, baissé les yeux, posé sa main sur la mienne, l’avait étreinte brièvement, puis s’était avancée vers la sortie. Une fois face à la porte, elle avait fait volte-face, et, son visage éclairé d’un vrai sourire cette fois, avait murmuré : « je sais que vous n’aimez pas qu’on vous le dise Jane, mais vous êtes quelqu’un de bien. Merci. Pour Sarah. Et pour moi. » Et doucement, elle s’était éloignée, rejoignant la jeune fille, se recomposant un masque serein et heureux qui, à mes yeux, ne cachait que partiellement celui tourmenté qu’elle arborait quelques minutes auparavant. Lisbon ne saurait décidément rien me cacher avais-je pensé dans un sourire.

Fermant les yeux, je laissais une torpeur m’envahir. Le CBI était calme, tout le monde était rentré chez soi. Je restais souvent ainsi le soir, juste avant de monter au grenier ou de rentrer au motel. En général, j’attendais que Lisbon termine ses dossiers et qu’elle parte. Cela me permettait de l’observer et de lui conseiller de rester lorsqu’il était vraiment tard… ou tôt plutôt. Le sommeil fit son entrée, et je tombais lentement dans les bras de Morphée.


Des images floues, des coups, une odeur de cannelle et de fraise, des pleurs, des cris, une voix appelant au secours…

LISBON !

Je sursautai, tremblant. Instinctivement, je tournai la tête vers le bureau. Personne. C’est vrai, Sarah et elle étaient parties plus tôt. Mais ce cauchemar… cela semblait si réel. Mon cœur ne s’en était pas encore calmé. Je me passai une main sur le visage, essayant de chasser par la même occasion ce mauvais rêve, puis me levai dans l’intention de me préparer une tasse de thé.

Une fois fait, au lieu de monter, je retournai dans l’open-space. Je n’arrivais pas à me calmer, les bribes cauchemardesques, ces cris et ces odeurs s’accrochaient à moi. Quelque chose n’allait pas. Et cela avait forcément rapport avec Lisbon. Posant la tasse, je sortis précipitamment, pris les escaliers et sautai dans la voiture.

Sur le trajet, j’essayais de me convaincre que tout ceci n’était rien. J’allais trouver Lisbon et Sarah assises dans le canapé devant un film à l’eau de rose, en train de se goinfrer de glace… à la fraise pour Lisbon, et peut-être la même chose pour Sarah. Oui, c’est ça, en me voyant, Lisbon soupirera et me demandera ce que je veux d’un ton peu avenant. Et moi, moi… je me retrouverai bête, mais ne ferai rien paraître, sortant l’invitation de Sarah, bref m’en sortir par une pirouette dont j’avais l’habitude, juste pour pouvoir la voir sourire.
Oui, Lisbon et Sarah ne pouvaient qu’aller bien.

C’est encore ce que je me disais en arrivant chez elle… jusqu’à ce que je voie la porte d’entrée entrouverte. Avec appréhension, je n’osais entrer. « Lisbon ? Lisbon vous êtes là ? Sarah ? » Mes cris résonnèrent sans trouver de réponse. Je poussai légèrement la porte, et restai pétrifié par ce que je voyais.


L’équipe s’activait dans l’appartement de Lisbon depuis une heure, voire plus. J’avais perdu la notion du temps après… ça. Assis contre le mur du couloir, face à l’entrée, je me remémorais les derniers instants. Je me souvenais avoir appelé Cho, mes yeux fixés sur cette tache de sang. Il avait été le premier sur les lieux, m’avait demandé ce que je faisais ici, ce qui s’était passé, si j’avais vu quelqu’un sortir… toutes ces questions basiques posées aux potentiels témoins dans une affaire d’enlèvement ou de… meurtre. J’avais répondu automatiquement, sans quitter cette marque rouge du regard. Cho avait soudain cessé de parler, et s’était mis face à moi, obstruant l’objet de mon obsession.

- Jane, regarde-moi. On va les retrouver. On ne sait même pas si ce sang appartient à l’une d’elles. Le boss sait se battre.
- Elle a peut-être fichu un coup de poing dans le nez d’un de ses ravisseurs, d’où la présence de sang, était intervenu Rigsby dans l’intention de détendre l’atmosphère.
- Il y a trop de sang pour que ce soit ça.
- Mais pas assez pour que ce soit mortel, avait repris Cho.

Je laissai aller ma tête contre le mur, les yeux dans le vide. Une ombre plana devant moi. Cho.

- Nous avons terminé. La scientifique s’occupe de relever les empreintes.
- Il n’y en aura pas.
- Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
- Lisbon a ouvert la porte à l’agresseur. Il n’y a pas de trace d’effraction.
- Tu penses qu’elle le connaissait ? Fit l’agent sceptique.

Je secouai la tête.

- Soit elle le connaissait, soit…
- Soit ?
- Soit elle s’attendait à me voir.

La réalité me frappa au moment même où je prononçai ces paroles. Ma faute. C’était ma faute si elles avaient été enlevées. J’aurais dû leur proposer de les accompagner, bien que Lisbon eût refusé.
Cho qui avait sûrement suivi le cheminement de mes pensées reprit :

- Ce n’est pas ta faute, tu m’entends ? On va avoir besoin de toi pour les sortir de là alors ce n’est pas le moment de te laisser aller.
- S’il lui arrivait quelque chose, je…
- Il ne leur arrivera rien ! Maintenant, réfléchis. Lisbon a-t-elle un petit ami ?
- Oui. Andrew. Mais ce n’est pas lui le coupable.
- Tu en es sûr ? Tu l’as déjà vu ?
- Non, mais il suffit de voir comment Lisbon rayonne après une de leur soirées. Attends… il est passé hier soir. Sarah me l’a dit.
- On va le convoquer tout de même. Peut-être aura-t-il remarqué quelque chose de suspect. Viens, on retourne au bureau.
- Je… je vais rester quelques minutes. Je vous rejoins là-bas.

Sans un mot de plus, Cho retrouva Rigsby et Grace qui discutaient un peu plus loin avec une voisine manifestement sourde et sous l’effet de somnifère.

J’entrai dans l’appartement de Lisbon, et observai chaque détail pouvant nous mener à une piste. Je souris en remarquant le pot de glace et les biscuits sur la table basse. Rien ne semblait avoir été déplacé ou volé. Pas d’indice, donc. Je serrai les poings en reportant mon attention sur la tache, et, au fond de moi-même, je me fis la promesse de les sortir de là coûte que coûte.

POV de Sarah

Quelque chose me réveilla. Un bruit, une douce mélodie qui m’était familière. Doucement, j’ouvris les yeux, me réhabituant au peu de lumière diffusé par la fenêtre. Ce que j’entrevis alors me fit trembler de tous mes membres. Cette pièce, ce n’était autre que ma première chambre. Il n’y avait plus de meubles, pas de lit, pas de commode ni de bureau. Je me levai du matelas étalé sur le sol, et devinai Teresa à l’autre bout de la pièce, tournée vers le mur. J’entrepris d’ouvrir la porte. Fermée. Logique. La fenêtre, elle, avait été calfeutrée et verrouillée, mais il y avait assez de lumière pour distinguer la pièce.

Teresa remua soudain et gémit. Je me précipitai à ses côtés, et remarquai un peu de sang sur le matelas. « Teresa ? » fis-je inquiète. J’avais beau observer son corps, il n’y avait pas de blessure apparente. « Teresa ? » réitérai-je tout en posant ma main sur son épaule. Lentement elle se retourna, et je compris d’où cela provenait. Sur son avant-bras s’étendait une large entaille qui ne saignait plus. Teresa ouvrit les yeux, encore embrumés par le sommeil forcé. Je n’avais pas vu l’homme lui faire cela. Son complice, un homme baraqué, m’avait déjà entraîné loin de l’appartement. Elle s’assit retenant une grimace, jeta un rapide coup d’œil à sa blessure et me sourit.

- Tu vas bien ? s’enquit-elle.
- Ce serait plutôt à moi de te demander ça. Il faut soigner cette blessure, elle risque de s’infecter !
- Calme-toi, ça ira. J’ai vu bien pire que cela.
- Comment t’a-t-il fait ça ?
- Je ne sais pas, répondit-elle en fronçant les sourcils. Je me souviens d’un coup sur la tête, mais pas de cette coupure.

Après quelques secondes de silence durant lesquels elle inspecta du regard la pièce, elle reprit :

- Il faut qu’on sorte d’ici. Il faut mettre en place une diversion.
- C’est perdu d’avance, lançai-je fataliste.
- Pourquoi ça ?
- Nous sommes dans ma première maison, celle que mon père avait achetée pour Maman et moi, d’après ce qu’elle m’a dit. J’ai essayé d’ouvrir la porte mais elle est verrouillée, tout comme la fenêtre qui a été bouchée par des planches. Nous sommes dans un coin perdu, la première maison est à 500 mètres !  Teresa, ils savent que je les ai vus ils vont me tuer !
- Ils ne tueront personne, d’accord ? Je ne les laisserai pas te faire de mal ! Maintenant, tu vas te calmer et nous allons attendre que l’un de nos ravisseurs vienne afin de savoir ce qu’il nous veut, c’est compris ?

Peu convaincue, je hochai la tête, défis le foulard que j’avais autour du cou, et le tendis à Teresa. Elle le regarda et refusa d’un geste de la tête, mais à force d’insistance, elle finit par s’en saisir dans un soupir, et s’en fit un pansement de fortune. Sans un mot, je m’installai près d’elle.

Le temps passa, sans qu’aucune de nous ne songe à briser le silence qui s’était instauré. Au bout de ce qui me parut une éternité, quelqu’un ouvrit la porte. Aussitôt Lisbon se mit debout et je suivis son exemple.

« Qui êtes-vous ? Que nous voulez-vous ? » lança Teresa d’une voix ferme, lorsque trois hommes armés entrèrent. Un rai de lumière filtra par la porte béante et, bien que les personnes soient en contre-jour, nous pûmes distinguer leur visage. L’un d’eux était vêtu d’un costume noir et d’une chemise blanche. Il semblait être riche à première vue, et surtout très sûr de lui. A n’en pas douter, il s’agissait du chef. Le gros malabar à côté de lui était l’homme qui m’avait ceinturé lorsque j’étais sortie, et l’autre semblait correspondre à l’homme masqué qui s’en était pris à Teresa. Elle se mit devant moi, et serra ma main en signe de rassurance. « Laissez-nous. » Un ordre sec à l’encontre de ses sbires, et ceux-ci firent demi-tour sans broncher. L’homme attendit que la porte soit refermée pour s’avancer de quelques pas.

- Il n’a pas été facile de retrouver ce qui m’appartient, mais comme vous pouvez le voir, je peux être très persuasif avec mes… associés, dirons-nous. Vous n’imaginez sans doute pas la valeur de l’enfant que vous abritez, agent Lisbon.

- Je ne suis pas …

- Sarah est bien plus précieuse à mes yeux qu’elle ne l’est aux vôtres, m’interrompit Teresa, une lueur que je ne lui avais jamais vue dans le regard. Pourquoi nous avoir enlevées ?

- Voyons, voyons, agent Lisbon, il n’est pas poli de poser des questions à son hôte, vous devriez le savoir. Néanmoins, je peux vous expliquer pourquoi je vous ai « invité » ici. Je sais, argua-t-il en levant la main, empêchant Teresa de prendre la parole, ce n’est sûrement pas le genre d’invitation que vous recevez habituellement, mais seriez-vous venues si je vous l’avais gentiment demandé, hum ? J’en doute, ajouta-t-il dans un sourire moqueur. Bien, vous êtes ici pour la simple et bonne raison que Sarah m’appartient, et comme vous ne sembliez pas vouloir la lâcher, il a bien fallu que vous l’accompagniez.  

- Sarah est un être humain et est par définition un être libre. Qui que vous soyez vous n’avez aucun droit sur elle ! Contra Teresa en faisant barrage de son corps entre cet homme et moi.

- C’est là où vous vous trompez ma chère. Mais peut-être Sarah pourra-t-elle vous éclairer sur mon identité ? Alors Sarah ? Crois-tu que ce soit le moment de jouer à cache-cache ?

- Je n’ai pas peur de vous, dis-je en me mettant aux côtés de Lisbon.

J’observai l’homme en silence, mais malgré mes efforts, ma mémoire ne semblait avoir gardé de traces de cet individu. Son sourire machiavélique se fana et il lança d’un ton grinçant.

- Finalement, ta mère a eu ce qu’elle voulait : te faire oublier tout ce qui se rapportait à ton père.
- Que… que voulez-vous dire ?
- Sarah, cet homme est…
- Ton père, exactement ! Perspicace, agent Lisbon.
- Mon père est mort, vous entendez ? Mort !
- C’est ce qu’elle a voulu te faire croire. Emma s’est enfuie lorsqu’elle a appris sa grossesse. Elle avait peur pour toi, peur que je ne sois pas un bon père. Il m’a fallu des années pour retrouver sa trace, et, quand j’ai décidé qu’il était temps pour moi de reprendre ma place auprès de vous, elle a refusé, disant que vous n’aviez pas besoin d’un incapable violent et irresponsable tel que moi. Vous pouvez aisément deviner la suite, une chute accidentelle sur l’objet de sa passion devenu l’objet de sa mort…triste fin.
- Espèce de…
- T.t.t.t Sarah, pas de vilains mots dans la bouche d’une si jolie jeune fille.

Prise d’une impulsion subite je m’apprêtais à me précipiter sur lui quand je sentis la main de Teresa sur mon bras.


POV de Teresa

Quand j’avais vu Sarah, le visage inquiet, lors de mon réveil, j’avais réalisé que je venais de me faire avoir. J’aurais dû me douter que ce ne serait pas Jane. Mais l’idée que cela pût être lui avait fait baisser ma garde. Et mon erreur― impardonnable pour une agent expérimentée telle que moi― venait de nous jeter dans la gueule du loup.

En écoutant cet homme, une colère sans nom naquit en moi. La dernière phrase avait déclenché une révolte chez Sarah, mais mon instinct m’avait soufflé que je devais la protéger aussi longtemps que possible. Le fait qu’il eût tué la mère de son enfant prouvait qu’il était capable de s’en prendre à sa fille.

D’un geste du bras, Sarah se défit de mon emprise mais ne bougea pas. J’allais prendre la parole quand la porte s’ouvrit de nouveau, l’homme se retourna surpris, et j’en profitai pour tenter de le désarmer. Peine perdue. Je ressentis un violent coup au niveau de ma blessure et une poussée d’une force insoupçonnée chez un homme d’une corpulence aussi moyenne. Sarah poussa un cri, et voulut me rejoindre mais la voix de son géniteur l’arrêta.

- Reste où tu es. L’agent Lisbon a eu ce qu’elle méritait. Toi, fit-il en se tournant vers son sbire, retourne en bas, je vous rejoins dans quelques minutes.
- Mais Patron…
- Exécution ! Cria-t-il.

Malgré la douleur, je compris que le calme qu’il arborait quelques instants auparavant venait de laisser place à de la rage qui pouvait exploser et devenir incontrôlable à tout moment.

- Bien. Maintenant que nous sommes de nouveau seuls, voici ce que je te propose. Soit tu acceptes de venir avec moi et je t’offrirai la meilleure vie possible, soit tu décides de rester avec l’agent Lisbon , et de mourir avec elle. Fais le bon choix.
- Vous ne pouvez pas tuer votre propre enfant ! M’offusquai-je tentant de me relever.
- Et pourquoi pas ? Rien ne m’en empêche. Lâcha-t-il d’un ton désinvolte.
- Jamais je ne viendrai avec toi. Je préfère mourir, lança Sarah d’un ton déterminé.
- Sarah…
- Non Teresa, j’ai fait mon choix. Jamais je ne pourrai vivre avec l’assassin de ma mère, cracha-t-elle.
- Comme c’est dommage. J’aurais préféré ne pas en arriver à cette extrémité, mais tu ne m’en laisses pas le choix, dit-il en relevant son arme vers elle.

Je le vis presser la détente, hurlai, me précipitai en trouvant la force nécessaire au plus profond de moi, et là, les secondes devinrent à la fois longues, s’étirant comme dans un cauchemar, et rapides, filant à toute vitesse. « Maman ! » le cri de Sarah après la détonation, mon corps retombant à terre, la douleur atroce me coupant le souffle. Fermer les yeux était la seule chose qui me restait à faire.

POV Sarah

Teresa s’était affaissée à ma gauche, blessée, morte peut-être. Tout était arrivé si vite, je n’avais même pas le courage de réagir. L’arme encore fumante, il me visa de nouveau, un sourire perfide aux lèvres. « Désolée ma petite Sarah. Mais cette fois, rien ni personne ne pourra te sauver. Mes amitiés à ta mère une fois là-haut ! » Terrifiée, je fermai les yeux, et entendis une déflagration.

Je ne sentais rien, n’entendais plus un son, jusqu’à ce qu’on prononce mon prénom. « Sarah ! » Un cri désespéré et empli d’inquiétude. Ouvrant les yeux, je vis Jane. Il se tenait près de Cho, celui-ci tenait un revolver encore fumant. L’individu était allongé, face contre terre. Jane jeta un œil à Cho qui acquiesça, et sans hésiter il se précipita vers moi. Je me serrai contre lui, heureuse et en vie. « Ca va, tout va bien, c’est fini maintenant » chuchota-t-il, m’étreignant un peu plus si cela était possible. « Où est Lisbon ? » fit-il inquiet de ne pas la voir. Je tournai la tête, il suivit mon geste et se précipita vers la masse sombre inerte.


POV de Jane

« Lisbon ! » Silence. « Lisbon ! » fis-je de nouveau en secouant légèrement son corps qui restait désespérément immobile. Ce n’était pas trop tard, non, il ne pouvait pas être trop tard. « Cho, appelle les secours ! » criai-je d’une voix que je ne reconnaissais pas. « Lisbon ? Faites un effort, ouvrez les yeux. Lisbon… » Doucement je calai son visage contre mon épaule, caressai ses cheveux tout en murmurant son nom.

- J… Jane ? fit-elle soudain, tentant douloureusement d’ouvrir les yeux.
- Je suis là Lisbon, tout va bien.
- Sarah ?
- Je suis là, Maman, fit-elle en s’agenouillant près de moi, la voix emplie de sanglots.

Lisbon grimaça un sourire, et ancra ses yeux aux miens, formulant une demande muette.

- Sarah, va attendre les secours dehors, s’il te plait.
- Mais…

Elle croisa mon regard, et comprit. J’attendis qu’elle sorte pour regarder de nouveau le visage de Lisbon. Elle souffrait et s’épuisait, ses yeux se fermaient et s’ouvraient difficilement, sa respiration devenait anarchique, et j’étais là, impuissant, à tenir son corps contre le mien. Son corps dont la vie s’évadait peu à peu sans que je puisse la retenir.

- Tout ira bien, Lisbon. Fis-je doucement pour nous rassurer l’un comme l’autre.
- Jane, merci… d’avoir… éloigné… Sarah.

Je souris en réponse, écartai une mèche qui lui tombait sur le visage, et frôlai par la même occasion sa peau plus que nécessaire. Elle ouvrit la bouche, s’apprêtant à parler.

- Chhht, ne vous épuisez pas, gardez vos forces.
- Prenez soin… d’elle. Elle a… besoin de vous.
- Vous vous occuperez d’elle et je vous y aiderai, c’est promis.
- Jane…

Elle se tut brusquement, et mon inquiétude s’accrut. « Lisbon ? Lisbon ! » tentai-je en vain. « Teresa, je vous en prie, ne vous endormez pas. Teresa ! » suppliai-je. Je refusais de la perdre. Pas elle. Non ! Je caressai son visage, laissant les larmes couler, elle ne pouvait pas…

Les infirmiers arrivèrent, m’éloignèrent sans ménagement et s’occupèrent d’elle.

Arrivés devant l’ambulance dans un état second, je montai sans attendre l’autorisation, mes yeux fixés sur son visage livide. Les portes se fermèrent, Sarah s’assit à mes côtés, et prit ma main qu’elle serra. Doucement, je tournai la tête vers elle, esquissait ce qui voulait être un sourire, puis retournai à ma contemplation. Hésitant, je saisis délicatement la main de Teresa, et l’étreignit. A cet instant rien d’autre qu’elle n’avait d’importance.

Teresa.